Chronique Livre :
SOUS LA NEIGE, NOS PAS de Laurence Biberfeld

Publié par Psycho-Pat le 02/04/2017
photo : paysage de Lozère (Pixabay)
Le pitch
Esther, institutrice, décide de quitter Paris pour s'installer dans un village en Lozère avec sa fille. Mais un jour, Vanessa, une de ses anciennes connaissances, refait surface et lui demande son aide.
Vanessa fait partie d'un trafic de drogue et deux dealers sont à sa poursuite. Les habitants du village font alors tout pour protéger Esther.
L'extrait
« Au fil des jours, je découvris que le village fonctionnait comme une entité primordiale. Que les gens s'aiment ou pas, qu'ils aient de l'estime les uns pour les autres ou non n'entrait pas en ligne de compte. J'étais exclue de mystérieux métabolisme social. J'étais en revanche – nous étions Juliette et moi – des éléments qui concernaient l'entité dont il fallait s'occuper, qu'il fallait intégrer dans les préoccupations quotidiennes.
Au début, j'eu du mal à obtenir les papiers de la voiture que j'avais achetée. Le certificat de non-gage posait problème, je ne pouvais pas l'assurer. Lionel, dès qu'il le sut, alla incontinent négocier avec le Capitaine de gendarmerie du coin. J'étais l'institutrice de la Galinières, inutile de me demander mes papiers, le problème serait résolu, ou pas, un jour ou l'autre. Le Capitaine repéra ma 4L, mémorisa me bouille et l'affaire fut réglée.
En y repensant, les souvenirs qui remontent sont de toutes sortes. Je suis dans cette chambre de malade et j'ai de plus en plus de mal à me déplacer. J'ai pris une décision avec laquelle je ne transigerai pas. L'infirmière vient deux fois par jour pour la chimio. C'est une jeune femme enjouée et efficace à laquelle je n'ai pas cru bon de dissimuler mes intentions. Elle attend que je me décide, respectueuse de mes choix mais aussi de la fragilité humaine qui pourrait me faire changer d'avis. Elle attend. » (p.23-24)
L'avis de Quatre Sans Quatre
"- Il paraît qu'elle a un petit. Elle doit être folle. Elle vient de Paris."
Mazette ! Une nouvelle institutrice dans un village reculé de Lozère, sur un causse isolé du monde, ce n'est pas une mince affaire. Peu importe qu'elle soit ci ou ça, qu'elle ait un peu beaucoup de visiteurs d'un soir ou qu'elle lève sérieux le coude le soir au bistrot. L'école, c'est la vie, l'avenir peut-être. Trois élèves, pas de quoi assurer la relève, mais dans ce pays figé, c'est comme une étincelle. Des femmes, déjà, il n'y en a plus énormément, elles tiennent pas le coup, elles succombent à l'attrait de la ville, usées par les travaux des champs, le climat, les hommes qui abusent sans cesse.
Cette communauté quasi autarcique est un organisme à part entière. Avec son propre système immunitaire. Amis, ennemis, il n'y a pas de différence lorsqu'un ou une d'entre eux est agressé ou subi un coup de sort, tout le clan se retrouve pour porter secours ou dépanner. C'est le seul moyen de survivre et de faire face à l'adversité qui est le lot quotidien des déserts gelés ou brûlant selon la saison. Chaque habitant est une cellule, chaque avatar, un cancer que tout le corps social se doit d'éliminer le plus rapidement possible.
Esther donc, vient de la grande ville, elle doit être un peu folle pour avoir demandé ce poste, encore plus de s'y plaire et d'y avoir amené Juliette, sa fillette. Deux souffles de vie supplémentaires, ça ne se refuse pas. Elle a galéré, l'institutrice, sait ce qu'est la misère et l'exclusion, aussi ne refuse-t-elle jamais de prêter la main à ceux qui sont en difficulté. Comme Vanessa, qu'elle a accueillie chez elle, à Paris, lorsque celle-ci est sortie de prison après une histoire de dope qui avait mal tournée. Elle est touchée la fille, ne percute plus toutes les informations, séropo, prostituée occasionnelle pour se payer une came qu'elle jure ne plus prendre. Pas grave pour Esther, sauf qu'elle ne veut pas du cirque des toxicos chez elle, pas de seringue, pas de poudre, trop dangereux avec Juliette.
Loin de toutes ces turpitudes, apaisée sur le causse, adoptée par les indigènes, Esther savoure sa liberté quand Vanessa refait surface, accompagnée d'une valise sans vêtement, lourde d'un chargement de drogue jamais parvenu à son destinataire. Elle a entraîné dans son sillage, deux malfrats à la recherche du précieux chargement. Et, évidemment, tout un cortège d'emmerdements hautement dangereux pour Esther et le village.
Alors le hameau tout entier, les fermiers, le cafetier, chaque élément du tout qu'est cette micro-société va participer à éliminer les intrus, à lutter contre l'infection comme de vaillants globules blancs. Comme eux, certains iront jusqu'au sacrifice, tous tendus vers l'unique but : se débarrasser de la maladie causée par l'irruption des saletés de la ville sur le plateau montagneux.
L'histoire est simple, sublime d'évidence, elle prend corps avec la terre, s'enracine tout de suite entre les pierres et les ronces, dans le pas lent des vaches et des hommes. Esther est malade, vieille, elle raconte le causse, le récit la submerge, habité par les morts et ceux qu'elle ne reverra plus. Sa dernière lutte est plus qu'entamée, il est temps de faire le bilan et c'est cet épisode de sa vie qui lui revient, parce qu'elle l'a vécu intensément, douloureusement. Une belle langue, pétrie de vérité, qui raconte l'hiver, l'isolement, la souffrance des femmes utilisées plus qu'aimées, bêtes de somme le jour, esclaves sexuelles au crépuscule, contraintes de satisfaire, seules, tous les mâles de la ferme, avant de se lever dès l'aube préparer le café. Peu de choix, fuir ou mourir, percluses de douleurs et séchées de toutes les larmes versées. Les hommes, rudes, au plus près de bêtes, plus inquiets d'un vêlage difficile que de tout autre chose.
Poétique et rustique, ce roman prend aux tripes. Il nous attire vers le sol, sur ce plateau hostile avec son écriture qui suit le rythme des randonneurs ou du fermier qui rentre ses bêtes, nous réimplante dans les réalités brutes, l'humanité sans fard, sans artifice qui sait encore ce que solidarité veut dire. Avec toutes ses imperfections, tous ses balbutiements, ses luttes intestines, mais aussi la belle cohésion que peut afficher une petite communauté quand sa survie ou celle de l'un des siens est mise en cause par des éléments extérieurs vite rangés du côté des calamités, vol de criquets, veaux malformés ou averses de grêle sur les récoltes à venir.
Écoutez le récit d'Esther, elle évoque Cendrine, Vanessa, Lucien, Lionel, et tous les autres, elle sait dire la chaleur d'une main tendue et la douceur de se sentir entourée malgré les sales tours de la vie.
Bien sûr que le scénario est noir, il raconte l'existence, les vrais gens et ce qu'ils sont capables de se faire entre eux. De mal, certes, mais aussi de bien et c'est une singularité de ce livre.
Je les ai aimés ces personnages, j'ai aimé les fréquenter, connaître leurs histoires et les aléas de leurs vies difficiles.
Un court récit qui en dit long !
Notice bio
Laurence Biberfled est née à Toulouse en 1960. Elle a connu la ville et la rue. Rien dans les poches, le ventre vide. Plus tard, devenue institutrice, la vie l'amènera à quitter Paris pour le causse dont il est question dans Sous la neige, nos pas. Elle se consacre à l'écriture et au dessin depuis une quinzaine d'années.
SOUS LA NEIGE, NOS PAS – Laurence Biberfeld – La Manufacture de Livres – 169 p. mars 2017