Chronique Livre :
SOUS LA TERRE DES MAORIS de Carl Nixon

Publié par Psycho-Pat le 05/03/2017
photo : Pixabay
Le pitch
Mark Saxton s’est suicidé. Il s’appelait aussi Maaka Pitama. Son père biologique, un Maori du nom de Tipene, vient voler sa dépouille afin de lui offrir des funérailles dans le respect de la tradition maorie.
Sauf que c’est Box Saxton qui a élevé Mark, et il entend bien que son fils soit enterré sur les terres de sa propre famille.
À travers l’affrontement terrible que vont se livrer les deux hommes, c’est un portrait sans concession de la Nouvelle-Zélande que nous propose Carl Nixon, dévoilant les tensions existantes entre les communautés du pays, l’attachement aux traditions et l’amour de la terre.
L'extrait
« Le vieillard ne quittait pas le sol du regard en marchant mais lorsqu'il arriva près des arbres, il leva les yeux.
« Bon Dieu ! »
Son cri résonna dans l'air matinal et silencieux. Ce n'était pas un mannequin. Bien sûr que non. Pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt.
« Nom de Dieu de nom de Dieu ! Oh bon Dieu. »
Il était nu comme un ver.
Sa tête était légèrement renversée, son cou tiré vers le haut par le gros nœud de la corde. Son menton pointait vers les premières branches nues. Le vieillard fut soulagé de voir que ses yeux étaient fermés. Il en put s'empêcher de regarder l'enchevêtrement des ses poils pubiens autour de son pénis foncé, semblable à un concombre de mer.
Cet homme – non, il n'était pas si vieux que ça, ce n'était sans doute encore qu'un adolescent, pauvre bonhomme ! - ce presque homme, ce garçon donc, avait soigneusement empilé ses vêtements dans un creux entre les racines à la base du pin. » (p.11)
L'avis de Quatre Sans Quatre
Ce drame se déroule dans un pays touché de plein fouet par les ravages du libéralisme sauvage, une île où les habitants, maltraités par l'économie, ont tendance à revenir vers un passé idéal fantasmé. La crise des subprimes a totalement bouleversé l'hémisphère sud également, elle ne s'est pas arrêtée à l'équateur et a continué imperturbablement ses destructions du tissu économique et social jusqu'en Nouvelle-Zélande. C'est là que Box Saxton a brillamment réussi sa vie. Une femme qu'il adore et deux enfants, une entreprise de construction florissante qui laisse augurer d'excellents bénéfices, belle villa, des projets en cours, bref, un parcours professionnel et familial plus que satisfaisant. Jusqu'à ce que les errements de la finance internationale débarquent dans son pays. En quelques mois, malgré tous ses efforts, malgré tous ses sacrifices, il doit se rendre à l'évidence, la boîte de Box est coulée. Adieu veau, vache, cochon, couvée, il est couvert de dettes, perd tout ce qu'il avait gagné si durement.
Mais Box est un battant, il accepte n'importe quel petit boulot pour survivre, casse son dos de presque cinquantenaire sur les toits de chantiers où il gagne une misère pour ne pas être réduit à mendier, pour rester un acteur de sa vie. C'est alors qu'il est à l'autre bout de l'île qu'il apprend le suicide de son fils Mark. Enfin, le fils de son épouse Liz, issu de sa liaison avec un Maori. Mais non, c'est son fils, le sien, il l'a élevé, éduqué, soigné, aimé. Il sait tout de lui, leur complicité, leurs souvenirs, leur vie sont dans son coeur et sa tête. Il est anéanti, KO debout. C'est sur les terres de sa famille, celle qui abrite ses ancêtres que Mark doit reposer. Tipène, le père biologique ne l'entend pas de cette oreille. Mark, selon lui, est avant-tout un Maori, il doit respecter les rites de ses propres aïeux. Celui qui n'a, apparemment pas voulu de l'enfant dans sa vie, veut se l'approprier à sa mort. Mais ce n'est plus le même homme non plus, il s'appelait Stephen avant, avant de retrouver ses racines, son clan et de prendre un nom indigène.
Le cadavre de l'adolescent devient symbole de cette terre que les deux communautés, colons blancs et Maoris, se disputent à coups de pierres tombales et de lieux sacrés. Sa mort passe au second plan, ses restes deviennent l'enjeu d'une terrible bataille. Carl Nixon narre un combat désespéré, une lutte cruelle et pathétique dont l'enjeu est surréaliste. Les raisons du suicide de Mark passent au second plan, sa souffrance, son histoire, plus rien n'a d'importance, reste la hargne des vivants à capter son cadavre, alors qu'ils n'ont pas été capables de lui donner des raisons de vivre, de lui faire ressentir qu'il était unique et essentiel à leurs vies, sa dépouille devient objet de convoitise au point se s'affranchir de toute bienséance et respect dus aux morts. Elle se transforme en trophée, comme ces drapeaux qu'il faut aller chercher au cœur du camp ennemi pour démontrer sa force et son pouvoir.
Les personnages sont touchants, décrits au plus intime, principalement Box, l'axe autour duquel gravite toute l'histoire. Sa fragilité, ses failles, son frère Paul qui est mort trop tôt, victime d'un accident, captif des eaux et qui ne repose pas en terre, de Dee, sa grand-mère qui est le totem vivant de la famille Saxton. La folie qui s'empare de Box est formidable, surhumaine, son errance en compagnie du corps de son fils auquel il parle comme à un compagnon de route qu'il faut rassurer et apaiser, magnifique et sordide. Sous le terre des Maoris est un très grand roman noir de deuils, de ceux impossibles à réaliser parce qu'absurdes. Mark pendu à une branche tel le fruit gâté d'une greffe ratée entre deux peuples qui ne savent cohabiter en vivant dans le respect et ne parviennent qu'à s'affronter pour conserver un mort. Ce livre est une gifle à tous ceux qui hurlent dès qu'on évoque le multi-culturalisme, les bienfaits de différentes influences. Lorsque chacun campe sur ses propres bases, refuse l'autre, le méprise, tout le monde perd un peu de son humanité.
C'est toute l'histoire d'une terre coupée en deux, de groupes ethniques incapables de dialoguer, prenant naturellement, comme dans tous ces cas de figure, le pli de plus d'intolérance encore, de plus d'intégrisme, comme un serpent venimeux se mord la queue, n'ayant pour aboutissement qu'une violence accrue dans une spirale infernale, jusqu'à cette tragédie de ne plus pouvoir pleurer simplement ensemble un enfant mort. Box est atterré, déprimé, mais sa rage prend le dessus, le motive, Tipène, réagit selon des codes, seules les femmes, assez effacées, laissent couler les larmes sur le pauvre cadavre devenu simple objet de discordeet de prééminence.
Un excellent moyen de comprendre la société néo-zélandaise, sa complexité et, par extension, le fonctionnement parfois stupide et vain des communautés humaines qui se replient sur elles-mêmes par peur ou haine de l'autre. Beaucoup d'actions, de suspense, c'est un vrai grand roman noir, de scènes d'anthologie entre Box et la dépouille de son fils, tous les deux contraints de fuir le plus loin possible la civilisation des hommes.
Notice bio
Carl Nixon est né en 1967 à Christchurch (Nouvelle-Zélande), où il vit toujours. Auteur de nouvelles récompensées, il se consacre désormais à l’écriture de romans noirs.
La musique du livre
Quelques vagues références à da la musique dans certaines scènes mais un seul titre réellement cité, un groupe très local
Jordan Luck and the Exponents - Victoria
SOUS LA TERRE DES MAORIS – Carl Nixon – éditions de l'Aube – collection l'Aube Noire – 328 p. février 2017
Traduit de l'anglais (Nouvelle-Zélande) par Benoîte Dauvergne