Chronique Livre :
SURVIVRE de Vicki Pettersson

Publié par Psycho-Pat le 18/04/2016
Photo : désert de Mojave (Pixabay)
Le pitch
Un été torride à brûler tout ce qui n'est pas à portée d'ombre. À frire un œuf sur le bitume. Kristine Rush, jeune médecin, et son fiancé Daniel, un chirurgien confirmé, quitte Los Angeles pour un week-end amoureux près du lac Arrowhead. Ils doivent traverser le terrifiant chaudron du désert de Mojave et s'arrêtent sur une aire de repos totalement déserte.
Kristine est victime d'une agression dans les toilettes de la station, un inconnu, surgit de nulle part, qui la laisse inconsciente. Lorsqu'elle se réveille, Daniel a disparu mais la voiture est toujours là. Incompréhensible. Elle est totalement désemparée. Terrorisée.
L'agresseur va passer par le téléphone de Daniel, resté dans la voiture, pour lui passer toute une série de messages d'une voix déformée, et lui donner une suite d'indications qui l'emmène vers un jeu de piste macabre. Il va multiplier les défis, des actes plus avilissants, dégradants et horribles les uns que les autres. Mais elle va devoir s'y soumettre si elle veut retrouver son futur mari.
Si elle n'obéit pas, avertit la police ou demande de l'aide à qui que ce soit, Daniel va mourir après avoir beaucoup souffert. Kristine s'aperçoit très vite que son bourreau sait absolument tout d'elle, ses secrets les plus intimes, ce qui ajoute à sa frayeur.
Un voyage en enfer commence, entre le kitsch des casinos explosants de néons criards et la morsure brutale du soleil sur le peau, Kristine s'enfonce vers le mal.
Mais jusqu'où pourra-t-elle tenir pour sauver Daniel ?
L'extrait
« Le pas suivant est comme un coup de poing au centre de la pièce, et mon cœur se serre simultanément. Je suis encore à moitié nue, le léger gilet en cachemire serré contre ma poitrine comme si c 'était une cotte de maille, et je presse le dos contre le mur, tellement tendue que le poids de mon corps repose sur mes orteils. Ce ne sont que des pas, me dis-je, essayant de ma raisonner ; mais chacun d'eux est d'une précision acérée, comme un pistolet qu'on arme, et l'instinct – l'expérience – me souffle que ce sont là des pas qui ont un but.
Je me glisse dans le coin, faisant abstraction du béton rugueux qui m'érafle le dos. Je veux appeler Daniel, mais j'ai soudain une impression de vide dans la gorge, comme si on en vait ôté le son à la petite cuillère, et puis de toute façon... quand bien même il arriverait au galop ? Mon fiancé est un chirurgien brillant, un homme bienveillant et un amant attentionné, mais soyons réalistes : ce n'est pas un bagarreur.
L'approche inébranlable continue, et chaque pas me fait tressaillir. J'ai mal aux mâchoires, mais je n'arrive pas à desserrer les dents. Je ne suis même pas capable de bouger. Je me contente de rester tapie dans ce coin crasseux en me disant : Ça ne va pas recommencer ! »
L'avis de Quatre Sans Quatre
Sueurs froides en plein soleil...
Terreur dans un four ! Tout est flippant dans ce roman, de la situation initiale, cette station service déserte où Kristine se fait agresser, au parcours jalonné d'étapes plus humiliantes et abominables les unes que les autres, que le criminel lui impose. Flippant mais si bon. Pour son premier essai dans le monde du thriller, Vicki Pettersson démontre de réelles qualités d'écriture et de maîtrise de ses personnages et des méandres de leurs psychologies.
Kristine est l'héroïne, elle tient tout le récit à bout de bras et elle le fait remarquablement. Son combat contre l'ombre qui la persécute, qui a l'homme qu'elle aime en otage, ce qu'elle est prête à faire pour sauver Daniel, sa lutte contre ses valeurs et principes, tout est épique et paroxystique. Les défis sont multiples, ardus, ils lui demandent une abnégation totale. L'histoire va peu à peu dévoiler ce qui sous-tend la personnalité et les ressorts de ses fameuses valeurs - dont le fameux « Ne pas nuire » du serment d'Hyppocrate -, son enfance, les tragédies qui l'ont façonné et subliment encore les sacrifices qu'elle consent pour aider Daniel.
Côté décor, il y a de quoi faire aussi, le désert de Mojave est un des pires endroits au monde, les casinos qui le bordent, des modèles d'artificialités incongrues, sans compter les passages dans les mines de charbon. Du soleil le plus dingue à la nuit la plus noire, le voyage intérieur de la jeune femme explore dans toutes les dimensions et va chercher très loin. Le paysage est acteur à part entière, oppressant, brûlant, vide d'humanité, le terrain idéal pour mettre à nu les vérités les plus crues. Le criminel lui fait pas à pas suivre son calvaire, il en a tout repéré, il sait tout d'elle, elle ne sait rien de lui et est totalement perdue, le combat est très inégal et s'annonce périlleux pour Kristine.
L'énigme est labyrinthique, elle se décline sur plusieurs niveaux : les motivations de l'agresseur, les réactions de l'héroïne, les aléas du chemin, du parcours et des humains ou animaux qui ne vont pas manquer d'intervenir. La tension monte tout du long, la moindre révélation amplifie encore l'intensité du suspenses, fait vaciller l'image que le lecteur s'en était faite.
Un superbe thriller, américain mais exotique par son décor de western, Survivre va très loin dans l'introspection des personnages et de leur histoire respective. Bien écrit, très bien traduit, un très bon moment de lecture et d'angoisse.
Notice bio
Vicki Pettersson est née et a grandi à Las Vegas. Pendant dix ans, elle a dansé dans un casino avant de tout arrêter pour se consacrer à l'écriture. Survivre est son premier roman publié en France. Elle est principalement connue pour sa série d'urban fantasy Signs of the Zodiac et sa trilogie Celestial Blues, les deux se déroulent à Las Vegas.
La musique du livre
Daniel aime et écoute beaucoup de jazz des années trente. Fats Waller chante I Wish I Had You lorsque Kristine reprend la voiture qu'elle retrouve vide. Elle arrive dans un diner où un jukebox joue Rock Around the Clock de Bill Haleys and the Comets.
Elle sursaute à chaque sonnerie du téléphone de Daniel qui annonce un appel de la mère de Daniel ou de son persécuteur. Le jingle est crispant, c'est le générique de l'ancienne série télévisée américaine, Les Arpents Verts.
Une scène de suspense insoutenable se déroule en même temps que résonne la musique de Duke Ellington, It Don't Mean a Thing.
SURVIVRE – Vicki Petterson – Sonatine Éditions – 341 p. avril 2016
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Caroline Nicolas