Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
TANT DE CHIENS de Boris Quercia

Chronique Livre : TANT DE CHIENS de Boris Quercia sur Quatre Sans Quatre

Photo : Santiago du Chili (Wikipédia)


Le pitch

Une scène terrible pour ouvrir ce polar : Jimenez, le partenaire de Santiago Quinones, flic à Santiago du Chili, se fait abattre lors d'une descente dans un repaire de dealers. Santiago réussit à sauver sa peau mais c'était moins une. Pas le temps de se remettre qu'une visite des Affaires Internes lui laisse entendre que son collègue et ami étaient mêlé à de louches affaires dans le milieu des narco-trafiquants. Et pas seulement d'ailleurs, Jimenez se rendait également régulièrement dans les locaux d'une sorte de secte, La Nouvelle Lumière. Santiago, sonné, abasourdi, décide qu'il se doit de fouiner de ce côté.

Sur place, il y rencontre la jeune Yesenia qu'il a connu enfant, elle était la fille des voisins de ses parents. Celle-ci, fort désemparée, lui confie qu'elle a vécu un véritable enfer à cause de son beau-père qui l'a séquestrée, brutalisée, violée, prostituée. Elle ne pense plus qu'à lui faire payer ses crimes, se débarrasser de cet homme qui ne la laissera jamais tranquille autrement. Yesenia demande à Santiago d'être l'instrument de sa vengeance.

Traumatisé et déstabilisé, Santiago va se laisser embarquer dans cette histoire, en souvenir du passé et parce qu'il ne sait plus où il en est. Sans pour autant négliger son enquête sur les prétendues sorties de route de son ami, en louvoyant pour éviter les deux inspecteurs des Affaires Internes aux intentions bien moins nettes que ce qu'ils proclament...


L'extrait

« Pour quelle raison est-ce-qu'on regarde toujours les yeux en premier chez quelqu'un ? Pourquoi pas d'abord les oreilles, les mains, les nichons ? Non. D'abord les yeux, comme si on pouvait deviner quelque chose de l'autre en le regardant dans les yeux.
« Le corps meurt, l'âme meurt » dit le monsieur en réajustant ses lunettes.
J'ai toujours pensé la même chose. Qu'est-ce que c'est que cette histoire d'aller dans un autre monde, de se réincarner en animal, de rester à flotter en l'air ? Je crois qu'on est tous des fourmis, en file indienne, qui entrent et sortent du métro en recherchant désespérément de la nourriture. Je suis sûr que l'univers souffre autant de la mort de Jimenez que de celle du chien. Je ne peux pas m'arrêter de penser à la fumée qui lui sortait du museau. Et l'âme, quelle connerie ! Qu'on me m'emmerde pas avec l'âme. Le monde est un grand broyeur à viande et tous, tôt ou tard, on tombera dedans. Quand on mange un hamburger, on ne se dit pas qu'il a pu avoir une âme, alors pourquoi est-ce qu'on en aurait une ?
« Nous sommes un phénomène chimique électrique né du hasard cosmique », le type martèle dans son discours ; on voit qu'il est convaincu de ce qu'il raconte.
C'est curieux comme l'homme est le seul être de la création à parler tout le temps de lui. Il ne lui suffit pas d'exister, comme n'importe quel autre animal. Peut-être que ce qui nous rend un peu cinglés, c'est le fait d'essayer de toujours tout expliquer. »


L'avis de Quatre Sans Quatre

Tant de Chiens est le premier polar chilien que je lis, une découverte ! La couleur locale est certes présente, les souvenirs diffus de la dictature, la crise terrible qui a secoué l'Amérique Latine, les cartonneros, le maté, les Mapuche et ce sentiment que la police ne correspond absolument pas à nos standards occidentaux, tant du point de vue de l'éthique que de celui de la pratique. Mais l'intérêt principal de ce roman reste tout de même cette intrigue parfaitement maîtrisée et pleines de détours vicieux, animée par un personnage exceptionnel, Santiago est l'âme du roman, c'est également la quintessence du personnage de polar. Largué, défoncé, trahi mais têtu, malin, clairvoyant, toujours prêt à prendre un gnon.

Santiago est un superbe personnage, déstabilisé par la mort de son pote qui va louvoyer entre des montagnes de coke et de sacrés salopards, déconfit par les révélations et la rouerie apparente des Affaires Internes, il n'est plus celui qu'il était avant la descente chez les narcos. Mûr à point pour toutes les manipulations, toutes les suggestions. Quand celles-ci prennent les formes de Yesenia, il n'est plus assez lucide pour réfléchir. Il entre alors dans le monde du flou, la crypto-secte de La Nouvelle Lumière, les flics des Affaires Internes, toutes les informations contradictoires lui brouillent la réflexion et l'entraîne à songer devenir un tueur.

Blessé, à l'hôpital, il rencontre Marcelo, le presque Mapuche qui va lui servir de lien avec le réel, lui permettre de reposer les pieds à terre et de prendre les bonnes décisions. Compagnon d'infortune, ils vont se soutenir l'un l'autre, reprenant heureusement l'indispensable couple d'enquêteurs, un collé au réel, le second plus créatif . Il faudra bien tous ces talents pour traverser cette histoire alambiquée où personne n'est réellement ce qu'il veut paraître.

Un rythme dingue, un flic qui passe de la philosophie la plus limpide à l'humour le plus féroce, une humanité à fleur de peau et les arrières-cours de Santiago du Chili qui ne sont pas fréquentables, enfin, celles qu'emprunte le détective...Ce roman est un très belle réussite, une transposition inventive et créative de l'univers du noir dans les rues sud-américaine. La traduction est d'excellente qualité, on sent le pays, la langue est fluide, drôle, complice, le lecteur est comme pris à témoin des infortunes de Santiago.

Bref, un très très bon polar, qui figurera sans aucun doute dans le palmarès de cette année et un nouveau héros que j'aurai plaisir à retrouver dans d'autres tribulations.


Notice bio

Boris Quercia est né en 1961 à Santiago du Chili. Il est connu dans son pays en tant qu'acteur, réalisateur, scénariste et producteur. Mais son jardin secret est l'écriture de polars. Son premier roman, Les Rues de Santiago, paru chez Asphalte en 2014 vient d'être édité au Livre de Poche. Tant de Chiens reprend le même personnage principal, toutefois les deux histoires sont totalement indépendantes.


La musique du livre

Une très belle playlist en fin d'ouvrage de musique chilienne, comme dans tous les romans édités par Asphalte, choisie par l'auteur lui-même, plus quelques morceaux intégrés dans le récit. Largement de quoi se faire une idée de ce qu'écoute Santiago Quinones au cours de son aventure.

Choisis dans la sélection de l'auteur : Chico Trujillo qui interprète Gran Pecador suivi par Los Petinellis, Hospital et Juan Luis Guerra, Burbujas de Amor...

Extrait du roman, une chanson de Rocio Jurado que Santiago entend à la radio, Lo Siento Mi Amor.

Il vous reste à découvrir l'ensemble des titres pour une vraie ambiance chilienne pendant votre lecture...

TANT DE CHIENS – Boris Quercia – Asphalte Éditions – 199 p. novembre 2015
Traduit de l'espagnol (Chili) par Isabel Siklodi

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