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Chronique Livre :
Temps glaciaires de Fred Vargas

Chronique Livre : Temps glaciaires de Fred Vargas sur Quatre Sans Quatre

 Illustration : exécution de Robespierre et de ses partisans. Détail d'une estampe de Prieur (Wikipédia)


L'extrait

« - Ce sont des gestes que l'on fait par inadvertance, dit Danglard.
- C'est cela, inadvertance. J'ai vu le nom de l'expéditeur, Alice Gauthier, et j'ai compris que c'était sa lettre. Alors j'ai beaucoup réfléchi, sept fois et pas une fois de plus.
- Sept fois, répéta Adamsberg
Comment pouvait on compter le nombre de ses pensées ?
- Et pas cinq et pas vingt. Mon père disait qu'il fallait tourner sa pensée sept fois dans sa tête avant d'agir, mais pas moins, sinon on faisait une bêtise, mais surtout pas plus, sinon on se mettait à tourner en rond. Et qu'à force de tourner en rond, on s'enfonçait dans le sol comme une vis. Et qu'après, il n'y avait plus moyen de bouger de là. Alors j'ai pensé : la dame avait voulu sortir seule pour poster cette lettre. C'est que ça devait être important, non ? »


Le pitch

Inénarrable, évidemment, comme tous les romans de Fred Vargas, juste une tentative de vous donner quelques éléments mais ce sont tous ceux que je ne vous donnerai pas qui comptent le plus et la façon dont ils sont mis en scène magnifiquement par Fred Vargas...

Le commissaire Bourlin, un solide et sympathique gaillard, a besoin des lumières du commandant Danglard, adjoint du commissaire Adamsberg. Un suicide apparemment, mais un dessin bizarre est repéré sur un mur et, sous la pression du jeune juge zélé Vermillon, Bourlin aimerait découvrir la signification de ce symbole. Adamsberg les accompagne et tente une explication qu'il aimerait vérifier.

Un deuxième suicide, le même signe. Adamsberg est ferré. Il devra aller au bout de l'enquête, où que soit ce bout. En Islande où les « suicidés » ont fait un voyage tragique des années plus tôt ? Au Creux, près de Sombrevert, qui abrite un fameux restaurant, une tour maudite et le hara du dernier suicidé et la bonne Céleste qui a pour animal de compagnie un sanglier appelé Marc ? Dans les complots ourdis au sein d'une association refaisant inlassablement les séances du parlement révolutionnaire à l'époque de Robespierre ? Peu importe, il suivra le fil ou les fils au grand dam de son équipe, soutenu par son ami Veyrenc et la solide et protectrice Rétancourt.


L'avis de Quatre Sans Quatre

Pour Fred Vargas, au commencement doit être le verbe. Enfin le verbe, entendons-nous, les verbes, les substantifs, les adjectifs, attributs, adverbes et toute la panoplie des mots possibles. Cet ensemble sémantique qui vient construire et habiller l'idée ou les idées qui la hantent et l'obligent à se lancer une fois de plus dans les sentiers obscurs des aventures de son commissaire Adamsberg.

Pour Adamsberg, au commencement, c'est le signe qui compte. Ce peut être un cercle bleu, une morsure de loup gigantesque, un os dans une déjection canine, un 4 à l'envers, une chaussure avec un pied dedans, un trident ou, comme dans ces Temps Glaciaires, un H mal foutu affublé d'un gribouillis convexe. Hiéroglyphe, lettre cyrillique, idéogramme ou symbole sectaire farfelu ? Danglard est là pour éclairer ou pas, mettre son érudition en marche, et, le lumineux Lucio pour nommer l'araignée qui gratte ou le chemin ignoré. Chacun sa place, Adamsberg, c'est le repèreur de signe abscons qui font les grandes enquêtes et les belles énigmes.

"-Comment veux-tu qu'on s'éloigne de quelque chose quand on ne sait pas où on est ?"

Fred Vargas, en bonne archéologue, exhume les mots des profondeurs du champ lexical, les libère de la gangue de sens accumulée par le temps ou l'usage commun, les bichonne et leurs trouve habilement une place choisie qui va faire sens dans une histoire de Robespierre et d'Islande qui, a priori, n'en a aucun. Elle sculpte un monde où chaque détail a sa vie propre, un monde qui n'est pas le reflet de la réalité, un monde original et unique qui nous aspire, substituant son imaginaire à notre réel. Le personnage le plus insignifiant y a sa description précise et nette, il s'anime, même mort depuis plus de deux siècles ou aussi improbable qu'un monstre islandais.

Temps Glaciaires est encore un roman rare, exceptionnel même. De ceux que j'appelle une confiserie, domaine du plaisir pur. Quatre ans sans nouvelles et paf ! Adamsberg, de son pas indolent revient et l'on replonge immédiatement sans pouvoir lui en vouloir une seconde de cette absence. De toute façon, il n'en aurait réellement rien à faire de nos états d'âme alors à quoi bon récriminer ?

Le charme n'est pas rompu, il opère comme toujours. Vargas, seule, peut nous passionner pour un démon islandais intervenant dans une histoire de députés révolutionnaires avec des témoins qui tournent leurs pensées sept fois - et pas une de plus – dans leurs têtes. Poétique, absurde, étonnant, désarmant, ce roman est tout cela à la fois et ne répond heureusement à aucune étiquette.

Entrez sans aucune hésitation dans ce roman, sans référence, sans préconçu ni préjugé. Il faut, pour que le sortilège agisse, juste suivre attentivement les déambulations d'Adamsberg et se laisser griser par la magie des mots.


Notice bio

Fred Vargas est le pseudonyme de Frédérique Audoin-Rouzeau née en 1957 à Paris. Année faste s'il en est...Archéozoologue, spécialisée dans la période médiévale et a travaillé comme chercheuse au CNRS. Après un premier roman en 1986, Les jeux de l'amour et de la mort, elle crée le personnage du commissaire Adamsberg et enchaine les succès. Un de ses livres a été adapté au cinéma par Régis Wargnier, Pars vite et reviens tard, quatre autres l'ont été à la télévision par Josée Dayan.

Temps glaciaires est son treizième polar. Elle est également scénariste de bande dessinée, nouvelliste et auteure de documents. Couronnée de nombreux prix, elle occupe une place à part dans le genre polar par l'originalité de son œuvre.

Temps glaciaires – Fred Vargas – Flammarion – 490 p. mars 2015

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