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Chronique Livre :
TERRES FAUVES de Patrice Gain

Chronique Livre : TERRES FAUVES de Patrice Gain sur Quatre Sans Quatre

L’auteur

Patrice Gain est un auteur français qui a déjà écrit deux romans publiés aux éditions Le mot et le reste : La Naufragée du lac des Dents Blanches, prix du pays du Mont-Blanc 2017 et prix « récit de l’Ailleurs » des lycéens de Saint-Pierre et Miquelon 2018 et Denali.


En bref

Du rififi en Alaska ! Sous le héros Carlson, que David McCae - tout droit venu de New York - doit interviewer, se cache un vrai sale type, magouilleur, menteur et surtout criminel.

David n’est pas au bout de ses déconvenues, l’une d’elles ayant de grosses pattes griffues et un peu trop de dents pour que sa compagnie soit plaisante.


Ce que j’en dis

David McCae n’écrit plus. Panne. Pour se refaire la main, pour alimenter son compte en banque, le voilà qui accepte la proposition de Sydney, le seul éditeur ou presque à le faire encore bosser, d’être le nègre du gouverneur Kearny qui va publier fort opportunément ses Mémoires, élections oblige.

David n’est pas seulement en bout de course littérairement parlant, il est aussi en passe de se séparer de sa compagne, Louise. En fait, il n’y a plus grand chose qui va dans sa vie, et ce boulot est aussi une manière de fuir tous les problèmes qui s’accumulent et de se remettre financièrement à flot.

Fuir, oui, mais David n’avait pas pensé que ce puisse être aussi loin ! Lui qui ne jure que par New York, qui déteste les grands espaces aussi bien que tout ce qui manque de bitume, de bars et de connexion wifi va devoir aller faire un petit séjour en Alaska…

Pourquoi ? Lubie du gouverneur qui veut inclure dans ses mémoires un chapitre sur son grand ami Dick Carlson, un alpiniste célèbre et très populaire, qui devrait avoir des anecdotes savoureuses à raconter  sur Kearny avec de vrais morceaux d’héroïsme dedans! De quoi rendre les Mémoires irrésistibles et assurer la réélection !

Très perturbé par ce déplacement qui inclut, il le sent bien, beaucoup plus de nature sauvage que sa ration habituelle, David se promet de travailler vite et bien de manière à revenir le plus tôt possible dans ce qui ressemble à une ville.

Oui mais voilà, les choses ne vont pas se passer tout à fait comme cela.

Tout d’abord parce que Dick Carlson n’est que fort peu enclin à confier quoi que ce soit à David qui met tout d’abord ses manières rogues et déplaisantes, ainsi que son amour pour l’alcool fort dès le matin, sur le fait qu’il s’est blessé et ne peut que boitiller à l’aide de béquilles. Peut-être aussi est-il juste habitué à être obéi au doigt et à l’oeil, genre premier de cordée au sens propre comme au sens figuré ? Quoi qu’il en soit, l’accueil peu amène dont il fait l’objet décontenance David et lui donne toujours plus envie de tout envoyer balader et de rentrer chez lui.

Tout ce qui fait la beauté et la singularité des paysages que rencontre David est pour lui une horreur : les animaux sauvages, le froid, la solitude, la nature reine. Il grelotte, mal équipé pour le climat, a peur des mauvaises rencontres et donnerait tout pour un vrai bistrot et une vraie ville, des gens dans la rue et un peu de culture quoi !

Cependant, boire a parfois d’étranges conséquences : in vino veritas, dit-on, alors quand il s’agit d’alcool fort, la vérité est encore plus explosive, et le malheur veut que David ait tout enregistré, presque à l’insu de son plein gré puisqu’il s’était endormi et qu’une conversation plus que compromettante pour Carlson et Kearny soit donc désormais - peut-être - dangereusement publique.

Dès lors, David sait qu’il a entre les mains de quoi déboulonner l’idole montagnarde et il va chercher à diffuser ses infos. C’est sans compter sur Carlson qui n’a absolument pas l’intention de laisser ce freluquet s’immiscer dans ses affaires. Sans aucune connaissance du terrain, seul et démuni, David n’a aucune chance de s’en sortir. Il va tout simplement mourir, comme d’autres petits curieux avant lui.

Le citadin va devoir très vite apprendre à se défendre, et les plus grand dangers ne viennent pas forcément des ours…

Évidemment, l’apprentissage ne va pas sans douleur, David y laisse plus que ses illusions, il y laisse aussi un peu de sa peau. Mais surtout, il se découvre infiniment plus solide et fort que ce qu’il croyait être, et beaucoup plus apte à la survie en milieu hostile que prévu.

Roman d’aventure et initiatique, avec des passages très réussis sur la nature, l’isolement dans un paysage de neige et de glace, la survie dans des conditions extrêmes. L’auteur est un professionnel de la montagne doublé d’un ingénieur en environnement, on le sent dans la justesse et la précision de ses descriptions qui donnent beaucoup de relief à l’aventure de David.


Un extrait

« Il était dix heures passées quand le téléphone a sonné. J’étais allongé sur mon lit et par la fenêtre ouverte de la chambre j’entendais monter le tumulte de la rue. J’ai tendu la main vers la table de nuit et j’ai attrapé mon portable. Le nom de Sydney s’affichait sur l’écran. J’ai décroché. Ça faisait cinq jours qu’il cherchait à me joindre. Je n’avais pas envie d’entendre ce qu’il avait à me dire, mais je ne pouvais pas faire la sourde oreille indéfiniment, d’autant que Sydney Baldaci était un des rares éditeurs à me faire travailler.
- Toujours vivant ? Une semaine que je te cours après. Même Louise dit ne pas avoir de tes nouvelles. Tu es où ?
- Je suis dans un hôtel, du côté de Rockaway Beach.
- Je peux savoir ce que tu fiches ?
- Je sais pas très bien. J’avais besoin de voir la mer. De la respirer.
- Tu crois vraiment que le Queens est l’endroit rêvé pour prendre des vacances ?
- Je ne prends rien. Je me suis juste rendu à l’évidence.
- Garde tes phrases à la con pour les textes que je te paye à prix d’or et dis-moi si tu as avancé sur l’ouvrage de notre cher gouverneur.
- Je lui ai envoyé mon travail il y a dix jours, mais je crains que ce type ne sache pas bien de quoi doit traiter son livre. Il change d’avis à chaque journal télévisé.
- Ok, ok, mais tu sais comment sont ces politicards ! Je l’appellerai demain pour convenir d’une idée directrice. Et ton nid d’amour ? Tu t’es enfin décidé à lâcher la bride ?
- Louise m’a quitté, Sydney. Vendredi dernier. Enfin pour être exact, elle m’a dit qu’elle en avait marre de m’avoir dans ses pattes. Je suis sorti. Prendre l’air. J’ai tourné en rond une bonne partie de la nuit et finalement j’ai échoué ici. Je n’ai pas bougé depuis.
Il y avait eu un silence.
- Putain, David, quand ça va pas, tu fais vraiment des trucs de dingue ! Je savais pas que ça ne collait plus vous deux. Entre nous, elle est un peu spéciale, non ? Je me suis toujours demandé ce qu’elle pouvait bien faire avec un type comme toi.
- Elle aussi probablement. Pour le gouverneur Kearny, c’est au-dessus de mes forces. Vois avec lui. Je vais avoir besoin de faire un break quelques jours pour digérer tout ça.
- N’y pense même pas. Il compte sur son livre pour gagner les voix de sa réélection. Tu connais ma maison d’East Hampton ?
- Non. Je déteste la campagne. J’ai horreur du vide.
- Au bord de l’océan, et c’est tout sauf un trou. Tu files là-bas, tu te remets au boulot, tu te fais une raison et quand tu auras fini de pleurnicher sur ton sort fais-moi signe.
Avant de raccrocher, il avait ajouté que si je ne terminais pas le travail je pouvais m’asseoir sur ma rémunération. Sydney était comme ça. Il parlait beaucoup d’argent. Il changeait de filles comme de voitures et ne prêtait un réel intérêt qu’à son job. Les états d’âme, ce n’était pas son truc. Je lui disais qu’il n’était pas à l’abri, que ça pouvait lui arriver un jour. Ça le faisait doucement rigoler. Je l’aimais bien, contrairement à son style de vie qui compilait carriérisme et mondanité. » (p. 10 et 11)


Musique

Frank Sinatra - Killing me Softly

Billie Holiday – Blue Moon

JJ Cale - I Got The Same Old Blues

Otis Taylor - Look To The Side

Ray Charles - I’ve Got a Woman


TERRES FAUVES - Patrice Gain – Éditions Le mot et le reste - 208 p. août 2018

photo : paysage d'Alaska - Pixabay

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