Chronique Livre : TOUT CE QUI FAIT BOUM de Kiko Amat

photo: une Vespa décorée (Wikipédia)

L'extrait

« Le désastre ne sait pas marcher tranquillement. La catastrophe n'avance pas en traînant les pieds. Résultat, on ne la voit jamais arriver. Le cataclysme est une grosse dame en parachute troué qui vous tombe dessus. Une suicidaire accro aux pizzas et aux milkshakes qui, dans sa chute du quinzième étage, troue le velum de la terrasse de café à laquelle vous êtes assis, et vous n'êtes alors plus qu'une bouillie d'os dans le coma.
Il faut vous imaginer comme une grenouille qui voudrait traverser la route pour changer de ruisseau, mais à qui on n'aurait pas expliqué le sens du mot « camion-remorque ».
On a beau savoir que la tragédie est en marche, personne n'est assez malin pour la prévoir vraiment.
Cette nuit-là, comme dans un ralenti de La Horde sauvage, je l'ai bien vu arriver, le désastre, mais je n'ai pas été capable de l'anticiper. Parce qu'on ne remarque jamais les cris de la grosse dame en parachute. Juste le badaboum, puis la certitude qu'il n'y aura plus ni retour en arrière, ni deuxième partie, ni prochaine opportunité. »

Le pitch

Né à Londres, Pànic Orfila doit tout jeune s'exiler chez une grand-tante à Sant Boi en Espagne.. Il a à peine huit ans lorsqu'un jet privé vient s'écraser juste devant chez lui, tuant sa mère catalane et son père anglais, il est alors confié à Àngels, une aïeule légèrement déjantée, farouchement anarchiste et refusant qu'il se rende à l'école pour ne pas qu'il soit pollué par le « système ». Il mènera dans le village une vie solitaire, commençant la lecture des neuf cent livres hérités de ses parents et l'coute des disques qui vont avec. Il en profite pour découvrir le surréalisme, le dadaïsme, Aleister Crowley, l'ésotérisme, la masturbation qu'il pratiquera avec dévotion et, enfin, les jeux du sexe et de l'amour avec Eleonor.

Douze ans après son arrivée en Espagne, l'heure du lycée arrive et Pànic rejoint d'autres jeunes au lycée à Barcelone. Il est vite intrigué par quatre jeunes, toujours à l'écart, semblant appartenir à une sorte de clan ou de secte qu'il appellera « Les Vorticistes ». Mêmes lectures, mêmes valeurs libertaires, les Vorticistes vont rapidement laisser penser à Pànic qu'il est intégré dans un vague projet mystérieux mais révolutionnaire. Il va commencer à se défoncer aux amphétamines, à picoler et multiplier les extravagances comme ses nouveaux amis, attendant patiemment d'enfin savoir quel sera son rôle.

Le livre s'ouvre sur un Pànic éjecté d'un scooter Vespa qui fonce à 111 km/h, sans casque, tête la première vers un tronc plus solide que sa nuque...

L'avis de Quatre Sans Quatre

TOUT CE QUI FAIT BOUM ou Les Choses de la Vie version rock et déglinguée.

Pànic voit défiler sa vie au moment où sa tête va défoncer un tronc d'arbre, ou le contraire...,Comme Michel Piccoli, sa courte mais riche existence lui revient, de la mort de ses parents à ses errements en compagnie des Vorticistes, il va revoir tout ce qui a compté pour lui, un bilan urgent, rageur, au rythme des amphétamines qui inondent son système sanguin.

Àngels, celle qui l'accueille, a fait de son militantisme anti-système un système parallèle de valeurs et de comportement. Elle comptera pour beaucoup dans l'absence quasi totale de repères sociaux de Pànic qui traine sa solitude, sa culture mal digérée et son mal-être, prêt à suivre n'importe quelle philosophie ou idée le mettant sur la piste d'une identité qu'il quête au gré de ses lectures pas forcément bien comprises. Il a désespérément besoin de repères et de reconnaissance, d'entrer dans la société des hommes et d'y avoir une place.

Les Vorticistes feront l'affaire, à l'écart, comme lui, sans réel idéologie, comme lui, déjantés, un peu baudelairiens, légèrement rimbaldiens, ils sont faits pour s'entendre. Ils ont surtout l'avantage de lui donner une chance d'être enfin quelqu'un, un être sur qui on compte. Ses amourettes chaotiques et sa parenté sont loin d'être structurantes, les rites bizarres du petit groupe vont venir combler les vides du jeune paumé.

Ce roman bien noir, est drôle, même si le rire peut vite se changer en grimace. Il regorge d'un humour sombre, grinçant, d'une soif de vie et d'identité bruissant des vrombissement du speed qui coule dans les artères de la jeunesse barcelonaise emportée par les flots d'alcool, l'avidité du danger et du non-conformisme. Kiko Amat laisse son héros se débrouiller avec ses références artistiques et littéraires, son tombereau de disques de Soul dans une absence de perspectives socialisatrices. Pànic est un jour ceci, un jour cela, il n'est jamais Pànic parce que Pànic ne se définira qu'en miroir des autres.

Très original, hors des sentiers rebattus du mal-être mal compris d'une jeunesse gâtée, l'auteur nous livre une histoire excitante, oscillant entre farce et tragédie - comme la vie -, résonnant de musiques judicieuses. Il tranche dans le vif, entre bille en tête dans les poncifs avec un esprit vif et un regard allumé.

Un livre initiatique, une danse paroxystique autour de « qui suis-je ? » fondamental avec des personnages complexes, vivants, forts de faiblesses humaines et des bassesses qui vont avec. L'Easy Rider d'une jeunesse post-franquiste dans une société sans idéologie constructive. Le récit est cultivé, fort, actuel, animé d'un Pànic - Ô combien humain - et beau dans sa recherche de chaleur et de sens, une moue de dédain aux lèvres, un défi dans le regard, mais un trou béant dans son âme.

N'hésitez pas à enfourcher son scoot, vous ne le regretterez pas !

Notice bio

Kiko Amat est né à Sant Boi en 1971. Il a quitté le système scolaire à dix-sept ans pour se consacrer à la recherche de la chanson pop parfaite et au fanzinat. Il est l'auteur de six romans déjantés où la musique tient toujours une place importante.

La musique du livre

Comme dans tous les livres publiés par Asphalte Éditions, Et tout ce qui fait boum a sa propre playlist en fin d'ouvrage. J'ai tout de même choisi de vous faire partager deux titres qui ne sont pas dans la liste de l'auteur mais qui sont bien dans le bouquin qui regorge de musique du début à la fin.

Commençons par les « hors liste » : Martha Reeves & the Vandellas – Nowhere To Run, et, Tyrone Davis – Can I Change My Mind.

Le morceau le plus important du livre : Bernadette par The Four Tops, « LA chanson prémonitoire de trahison » pour Pànic, vous le retrouverez à chaque fois que sa situation amoureuse est perturbée.

Pour finir, le titre significatif des Vorticistes, Pharoah Sanders, The Creator Has a Master Plan et un peu plus rageur, The Lapse, The A, B, C, D's of fascism.