Chronique Livre :
Étrange Sabotage par Pierre D'Ovidio

Publié par Psycho-Pat le 03/08/2014
"Le Parti considère que les véritables saboteurs sont dans le gouvernement, alors...Je ne sais pas, mais...Pouvons nous durcir..." (Baptiste Bonnemain, militant syndical)
A partir d'un fait divers réel, le sabotage du train Paris-Tourcoing début décembre 1947, Pierre D'Ovidio peint une large fresque du paysage politique quasi insurrectionnel de l'époque. Les socialistes au pouvoir, alliés aux centristes, répriment les grèves des ouvriers affamés, justifient les arrangements avec la finance et s'efforcent de paraître respectables auprès des américains afin de bénéficier des aides prévues par le plan Marshall. Ce livre est un polar, un vrai, avec enquête, suspects, fausses pistes et meurtres en cascade mais ce côté historique est un vrai plus et ajoute au plaisir de la lecture.
Le pitch
3 décembre 1947, le train postal mixte, voyageurs et colis postaux, déraille à Agny suite à un sabotage, les rails ont été désolidarisés. Une vingtaine de mort, de nombreux blessés et une question terrible : qui a bien pu commettre un tel acte ? Quelqu'un qui connaissait le métier puisque les signaux censés arrêter le train ont été trompés...
La grève est quasi générale, l'inflation affame le peuple ouvrier, les tensions idéologiques entre factions syndicales et politiques sont exacerbées par le climat international tendu entre les États-Unis et l'Union Soviétique. Et les comptes entre anciens vrais héros résistants et collabos ou combattants de la dernière demie-heure sont loin d'avoir été soldés, ce qui n'arrange pas l'ambiance.
La tentation est grande, au sommet de l'état, de faire porter le chapeau aux cégétistes et membres du parti communiste. Cette solution simple désolidariserait la population des grévistes et permettrait de faire entrer en vigueur le plan Marshall, les affaires doivent reprendre. Et un croche-pied aux communistes satisferait bien des ambitions personnelles.
Le commissaire Gustave Cecchi, chargé de l'affaire, voit d'un œil suspicieux débarquer un inspecteur de Paris, Maurice Clavault, dépêché par le ministre de l'intérieur, le socialiste Jules Moch. Il va leur falloir nager en eaux troubles et beaucoup de perspicacité pour tenter de remonter les fils de cette enquête particulièrement retorse.
L'avis de Quatre Sans Quatre
Étrange Sabotage est avant tout un formidable roman policier, l'intrigue est complexe, le suspense dure et s'amplifie au fil des pages. C'est aussi un récit exceptionnel de l'ambiance qui régnait dans le pays durant cette immédiate après-guerre où les déclarations de Conseil National de la Résistance ont du céder la place à la soupe qu'en ont faite les divers partis politiques en lutte pour le pouvoir.
Les trahisons et les coups fourrés se succèdent à l'intérieur des forces en présence. Les divergences entre socialistes au pouvoir, alliés aux radicaux, communistes et gaullistes sont monnaie courante et la CIA, dans l'ombre, met régulièrement de l'essence sur le brasier pour favoriser les intérêts américains.
Ce roman nous fait vivre les tensions de l'époque, la vie du petit peuple, ses espoirs et ses luttes, sa solidarité, sa faim et ses désillusions, mais aussi la vie culturelle du moment, Gérard Philippe, Suzy Delair, Gabin, Boris Vian, Léautaud...
La langue est d'époque, elle sent bon le Simenon, l'argot du peuple, son impatience d'avoir rêvé au tout est possible et de se heurter de nouveau à la même misère. A l'injustice dont sont victimes les anciens résistants, encensés il y a peu, redevenus simples citoyens et constatant que d'autres, au mieux invisibles durant la guerre, ont su profiter du chaos pour tirer les marrons du feu.
Un roman noir d'historien et d'écrivain, intelligent et documenté, un beau récit qui remet bien des pendules à l'heure en plus du grand plaisir d'un super polar.
Notice bio
Après une carrière dans l'enseignement débutée en 1972, Pierre D'Ovidio, historien, commence à publier des livres d’artistes après s'être formé à divers techniques, lithographie, gravure et typographie. Il écrit une suite de trois polars, publiés aux éditions Phoebus, sur le Poitou où il s'est installé depuis la fin des années 90. il a commencé en 2011, pour la collection Grands Détectives, aux éditions 10 /18, une série de romans policiers ayant pour théâtre l'après-guerre dont Étrange Sabotage fait partie.
La musique du livre
Chantonné par Jules Chaboisson, le garde-barrière qui fut l'un des dernier à avoir vu le train sur les rails, un succès de l'époque donne la ton, Amado Mio des Soeurs Étienne, des stars de la TSF, pour mettre dans l'ambiance. Un peu de jazz joué, à la trompette, par Boris Vian que Maurice croise dans une cave de Saint Germain où il emmène danser Ginette sur des rythmes de Be-bop ensuite avant de clore par le Tralala de Suzy Delair, tiré du film Quai des Orfèvres, que Alphonse, le syndicaliste aux abois, fredonne pour se remettre du cœur au ventre.
Étrange Sabotage – Pierre D'Ovidio – Presses de la cité – 330 p. juin 2014