Chronique Livre :
TUE-MOI de Lawrence Block

Publié par Psycho-Pat le 10/11/2017
Le pitch
Nicholas Edwards vit à la Nouvelle-Orléans avec sa femme et sa fille, où il est l'un des deux associés d'une entreprise qui rénove et revend des maisons dévastées par le passage de l'ouragan Katrina. Entre sa famille et sa collection de timbres, il oublie peu à peu que dans une autre vie, son métier était d'éliminer des gens. Lorsque l'économie régresse et que ses affaires périclitent, un nouvel ouragan survient sous la forme d'un coup de téléphone de son ancien agent, l'énigmatique et truculente Dot, qui lui propose de reprendre du service et de redevenir l'homme qu'il fut : Keller, le tueur à gages.
De New York aux Caraïbes, et jusqu'au grand finale qui se déroule à Cheyenne, où une veuve lui demande de gérer la collection de timbres de son défunt mari, Keller va devoir franchir les turbulences du cyclone tout en préservant la vie de Nicholas Edwards...
L'extrait
« Il était concentré sur ses timbres lorsque le téléphone sonna. Il était seul à la maison, car Julia était partie chercher Jenny à la garderie. Il s’en fallut de peu qu’il ne laisse le répondeur enregistrer le message, vu que quasiment tous les appels téléphoniques étaient pour sa femme. Mais il y avait quand même une possibilité qu’il s’agisse de Donny, alors il se leva et finit par décrocher. C’était Dot.
Elle ne prit même pas la peine de se présenter et déclara : « Tu te souviens que tu as un téléphone portable ? » Elle raccrocha avant qu’il n’ait le temps de répondre.
Il se souvenait de ce téléphone, prépayé et intraçable, et même de l’endroit où il l’avait planqué : dans son tiroir à chaussettes. Cela faisait un bon moment que la batterie était à plat. Il était en train de la recharger lorsque Julia et Jenny étaient rentrées. Il lui faudrait donc une bonne demi-heure avant de pouvoir se retirer dans son antre avec son appareil.
Il avait vécu à New York pendant des années, à quelques blocs du bâtiment des Nations unies, et Dot habitait alors à White Plains, au nord de la ville, dans une grande et vieille maison entourée d’un auvent. Mais elle avait été détruite par un incendie. Le même élan qui l’avait poussé jusqu’à la Nouvelle-Orléans avait emporté Dot à Sedona, Arizona. Désormais, elle s’appelait Wilma Corder, tandis que lui était devenu Nicholas Edwards. Chacun avait refait sa vie. Auparavant, elle gérait les contrats qu’il honorait en tant que tueur à gages. Mais ça, c’était du passé. » (p.15-16)
L'avis de Quatre Sans Quatre
Quel charmant petit couple ! Lui, passionné de philatélie, grand collectionneur de timbres du monde entier, sauf les USA, et d’avant 1940, elle, enjouée, sympathique, tellement excitée à chaque fois que son Nick revient d’un de ses voyages et lui raconte ses anecdotes. Pas les achats de raretés qu’il a pu faire pour sa collection, cela ne l’intéresse pas vraiment, les meurtres qu’il y a commis et la façon dont il s’y est pris.
Nicholas Edwards est la nouvelle identité de Keller, un ex tueur à gages reconverti dans la réhabilitation de maisons sinistrées lors de l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans. Avec son associé, Donny, ils ont monté une petite société qui fonctionnait plutôt pas mal avant la crise des subprimes et l’effondrement du marché immobilier. Quasiment au chômage technique, Nick s’ennuie un peu, il n’a pas besoin d’argent, son compte dans un paradis fiscal est largement approvisionné pour que la petite famille ne manque de rien pour très longtemps, mais l’inaction lui pèse, même s’il ne se l’avoue pas réellement. Aussi, lorsque Dot, sa pourvoyeuse de contrat le contacte pour un boulot pas trop difficile, n’hésite-t-il pas des plombes pour sauter sur l’occasion. Ses cibles se trouvent justement non loin d’une vente aux enchères de timbres où il comptait se rendre. Un signe du destin sans doute…
Lawrence Block signe un polar, drôle et original où il est bien difficile de savoir ce qui, du meurtre ou des raretés philatéliques, tient du hobby pour Nicholas. Les différents contrats qu’il effectue se trouvant tous à proximité de ventes qui l’attirent, on ne sait pas réellement ce qui le pousse à quitter son foyer et sa petite Jenny pour effacer un ou plusieurs quidams désignés par Dot qui joue à merveille le rôle d'impresario du crime tarifé. Leurs échanges téléphoniques ont quelque chose du duo de stand up avec un comique qui frise parfois le surréalisme. Tout en non-dits, en allusion - écoutes obligent, leurs discussions avant et pendant les missions, ainsi que les dialogues entre Nick et son épouse, donnent un charme fou à ce bouquin.
Passionnant également de suivre les différentes stratégies élaborées par l’assassin professionnel afin de satisfaire au mieux les désirs du clients, et de constater que, parfois, ça ne marche pas réellement comme souhaité. Pas de sang à longueur de pages, tr!ès très peu de violence, nous sommes, comme Julia ou Dot, tenus au courant des actions définitives de Keller par ce qu’il en raconte, ce qui crée une sorte de détachement qui rend ces meurtres secondaires et le personnages particulièrement attachant.
Keller est sympathique, d’une honnêteté à toute épreuve, ce qui va lui donner une belle réputation dans le milieu des vendeurs de timbres, et il a une éthique avec laquelle il ne transige jamais : pas d’élimination d’enfant. Il narre avec la même passion ses différentes découvertes philatéliques que les crimes qu’il commet. Le lecteur peut le suivre au Texas, à Denver, en croisière dans les Caraïbes, à New York, à chaque fois confronté à des contrats présentant des problèmes ardus à résoudre quant à leur réalisation. Keller a toujours une solution, parfois surprenante, même s’il frôle souvent la catastrophe.
Loin du lézard à sang froid ou du déséquilibré qui incarnent habituellement ce genre de personnage, Nick est sain, bien dans sa peau et dans sa vie, et le côtoyer tout au long de ce polar est un réel plaisir. Sa passion pour les timbres et leur histoire est communicative et l’on se prend à s’intéresser aux pays morts et aux diverses péripéties ayant rendu tel ou tel exemplaire rarissime et fort coûteux.
Tue-moi a toutes les qualités d’un bon polar : divertissant, intéressant, édifiant. Si l’on ajoute une excellente traduction de Sébastien Raizer qui sait parfaitement rendre le sel et la drôlerie, parfois acide, des échanges entre les protagonistes, c’est une réussite !
Notice bio
Originaire de Buffalo, dans l'état de New-York, où il est né en 1938, Lawrence Block est un auteur de polar prolifique. Il compose avec Tue-moi le cinquième roman de la série Keller, une atmosphère singulière par sa précision et son suspense.
La musique du livre
Duke Ellington – Satin Doll
TUE-MOI – Lawrence Block – Éditions Gallimard – Collection Série Noire – 323 p. octobre 2017
Traduit de l'américain par Sébastien Raizer
photo : Pixabay