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Chronique Livre :
Un agent nommé Parviz de Naïri Nahapétian

Chronique Livre : Un agent nommé Parviz de Naïri Nahapétian sur Quatre Sans Quatre

 photo : IR-40, réacteur nucléaire de recherche d'Arak - Iran (Wikipédia)


L'extrait

« « Je suis mort le 2 novembre 1979, pendu dans ma cellule par des Gardiens de la révolution aux ordres de Khomeiny. Quelques jours auparavant, j'avais fait une courte apparition à la télévision officielle afin de confesser mes crimes : j'étais un agent de la CIA à la tête d'un complot visant à renverser la République islamique. Mes « complices » ont été exécutés peu après. Du moins, c'est ce que me répétaient mes bourreaux chaque fois qu'ils m'arrachaient un nom. Vous n'étiez pas née alors, mais ceux de ma génération se souviennent que les interrogatoires ont été longs, douloureux, et la nouvelle selon laquelle on m'avait crevé les yeux a fait le tour de Téhéran. Rumeur macabre, servant tant à réjouir mes ennemis qu'à semer la terreur parmi les opposants... »
Sur ces mots, Parviz s'interrompit et fixa son invitée de son regard clair, avant de lui tendre un verre transparent cerclé d'un filet d'or. Il n'était pas grand, mais svelte, élégant, et s'exprimait en français comme s'il était né dans ce pays.
« Vous ne me croyez pas ? » reprit-il en faisant tourner son verre à thé entre ses doigts.
Kiana ne répondit rien, gênée : de quoi était-elle censée douter ? Du fait que l'homme qui s'adressait à elle était mort ou qu'on lui avait crevé les yeux ? Manifestement ni l'un ni l'autre n'était vrai, songea-t-elle en goûtant son thé.


Le pitch

Nasser Heydari, ingénieur iranien, travaille en secret sur le programme nucléaire de son pays. Il est venu en Europe, Paris entre autre, profitant d'une tournée de récital de Kiana, son épouse, célèbre joueuse de tar et chanteuse. Nasser doit s'approvisionner en pièces détachées auprès de fournisseurs pas trop regardant sur l'embargo qui frappe son pays. Tout ne s'étant pas passé comme il l'espérait, il décide de passer du côté du « petit satan » français et demande la protection des services de renseignements.

Pendant que Nasser est entendu par les services compétents, son épouse Kiana écoute les confidences d'un étrange agent : Parviz. Il a travaillé pour la CIA, a été infiltré à Téhéran lors de la prise d'otages de l'ambassade US en 1979 avant d'être assassiné par les hommes de l'ayatollah Khomeyni, c'est du moins sa légende. Il aime la raconter, accumuler les anecdotes plus ou moins vraies, à tout le moins invérifiables, narrer ses amours tragiques et les situations historiques qu'il a traversé. Parviz est bel homme, fin, cultivé, il fait patienter Kiana qui attend l'arrivée de sa sœur devant être récupérée à Londres par les services anglais, une des composantes du marché passé par Nasser.

Ça s'agite un peu partout dans le panier de crabes des services de renseignements, quelque chose se trame mais Florence Nakash, censée gérer le couple Heydari, doit enquêter sur le disparition soudaine du fameux Parviz avec lequel elle a une relation pour le moins trouble.


L'avis de Quatre Sans Quatre

D'un côté, les occidentaux prêts à toutes les manœuvres, même les plus alambiquées pour tenter de freiner le programme nucléaire iranien, de l'autre, les iraniens, accusés de tous les vices, retranchés derrière leurs frontières essayant de se procurer les matériels qui font défaut à la poursuite de leurs recherches. Entre les deux, tout un biotope de barbouzes, d'espions officiels et de personnages pris entre le marteau et l'enclume.

Et Parviz qui survole tout ce fourmillement énervé de sa classe naturelle, distillant semi-vérités et écrans de fumée, une manière de magicien génial, attirant le regard sur sa main droite pour mieux masquer le jeu de la gauche. Un très grand personnage de roman, un shah à neuf vies et neuf morts toutes aussi réalistes.

Ce que j'ai particulièrement apprécié dans le polar de Naïri Nahapétian, c'est qu'elle a le grand mérite de mettre de la chair sous les voiles islamiques, d'y placer des personnalités, de envies, des espoirs qui n'apparaissent jamais sur les photos ou documents présentant ces marées noires de tchadors niant l'idividualité. Des femmes iraniennes existent, aiment, aspirent ici et c'est rare.

Kiana est un beau personnage, fort, cultivée, multiple, perdue, embrouillée à l'envie par un Parviz charmeur. La plupart des hommes et femmes de ce livre sont des pions agités pour tromper ou démasquer l'ennemi mais ces pions ont une âme. Telle les oiseaux du récit d'Avicenne dont les citations truffent le livre, Kiana est prisonnière dans des filets tendus par d'autres même si elle n'en voit pas les mailles précisément et ne peut compter que sur elle pour tenter d'y échapper.

La musique traditionnelle, les coutumes ancestrales côtoient les technologies les plus pointues. Une guerre qui ne dit pas son nom, où les deux côtés s'observent, se jaugent, prêts à parer les coups ou à en donner. Des relations se nouent, comme dans l'urgence, dans le doute et l'angoisse, la vérité même a le goût du mensonge. L'auteure ne se contente pas d'un banal récit d'opération de renseignements, brutal ou subtil, elle traite toute une palette de sujets sociétaux qui sont la richesse et l'originalité du roman.

Un excellent thriller au sujet très original. Du suspense, de l'action, des protagonistes troubles et secrets plus de la chair et de l'âme. La découverte d'une société dont on ne parle que peu ou mal, de personnalités riches et complexes là où nous ne voyons souvent que multitudes inquiétantes et fanatiques. À découvrir pour la beauté de son écriture, la richesse et la poésie de ses personnages et l'originalité de son intrigue.


Notice bio

Naïri Nahapétian est née en 1970 dans une famille arménienne à Téhéran, ville qu'elle a quittée en 1980 après la révolution islamique sans pouvoir y retourner durant quinze ans. Elle a ensuite fait de nombreux reportages en Iran (Politis, Charlie-Hebdo, Arabies...) avant de commencer à travailler il y a dix ans comme journaliste au sein de la rédaction d'Alternatives économiques. Elle est l'auteure de quatre ouvrages dont deux polars, Qui a tué l'ayatollah Kanuni ? (Liana Levi 2009) er Dernier refrain à Ispahan (Liana Levi, 2012), traduit en plusieurs langues et repris en Point-Policier.


La musique du livre

La musique persane et la poésie d'Avicenne imprègnent ce roman. Puisque Kiana est une chanteuse en plus d'être une joueuse de Tar en tournée, un morceau traditionnel avec cet instrument Lotfi, Sepideh Meshki, Sehtar, Alireza Shahmohammadi, Awaz.

Du santour ensuite, que Florence Nakash entend chez une amie de sa mère lors de la fête du nouvel an persan, Persian Santur - Chaharmezrab Nava

Interrogée à Téhéran, Kiana dit avoir été approchée par un agent lors d'un concert sunati, soit un concert de musique traditionnelle iranienne comme celui-ci, qui a eu lieu à Turin, du Mehr Ensemble.

Un agent nommé Parviz – Naïri Nahapétian – Éditions de l'aube – 187 p. avril 2015

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