Chronique Livre :
Un fils de pub aux abois de Natalia Moret

Publié par Psycho-Pat le 24/10/2014
Photo : Cocaïne ( source : Wikipédia)
« Le pire n'avertit jamais. Le pire est toujours à l'affût. Le pire attend dans l'ombre du ring que vous baissiez la garde, pensant que le pire est passé, et il sort de sa cachette pour vous donner un coup de pied mortel dans les couilles. Les règles interdisent les coups bas ? Ha, ha. Heureux vous qui ne connaissez pas Le pire. Le pire, les mais...le pire ne joue jamais franc-jeu. » (Javier)
Le pitch
Javier Franco est un homme heureux, du moins n'arrête t'il pas de se le répéter. Il a une superbe épouse, Tatiana, une agence de pub prospère à Buenos Aires, une position sociale en vue et un goût immodéré pour le sexe et la coke. Tout irait donc pour le mieux si son ancienne associée et maîtresse Amanda ne l'avait pas laissé en plan avec une ardoise, énorme, qu'il ne peut effacer auprès de plus que douteux personnages.
Appâté par un possible juteux contrat avec Frederico, le roi du plastique, qui doit se refaire une virginité écologique auprès du public dont l'épouse, Julia, est amie avec Tatiana, il se rend à un dîner suivi d'une nuit de débauche totale à lui en faire perdre la mémoire.
Une gueule de bois abominable l'attend au matin ainsi qu'une photo le montrant à côté d'un cadavre démembré. Javier est un « perfectionniste de la parano » comme il aime à se décrire, la coke qu'il engouffre par wagon n'aide pas, et il va parcourir la capitale argentine de long en large à la recherche d'indices expliquant ce terrible cliché et sa possible implication dans cette affaire. Des sordides quartiers aux plus belles maisons, il piste Amanda et essaie de retrouver qui l'a photographié en si mauvaise posture.
Un cauchemar d'une urgence absolue commence, boosté par la came, la paranoïa, les manipulations et la vie folle du Buenos Aires où se croisent les déchus de la société, la pègre et les nouveaux riches.
L'avis de Quatre Sans Quatre
Un thriller à cent à l'heure ! Tout y est urgent, pressant, oppressant. Javier est le narrateur, c'est donc à son rythme trépidant, relancé plus que fréquemment par des rails de coke plus ou moins pure, que nous parcourons Buenos Aires. Ses doutes deviennent les nôtres, son impatience suinte et électrise l'écriture. Un récit staccato exacerbé par l'alcool et la came, la peur et l'espoir. Admirablement écrit et traduit,
Un fils de pub crache les volts, affiche un pouls à la limite de la rupture et scotche son lecteur!
Malgré sa trentaine, Javier est un enfant! Un sale gosse capricieux qui ne supporte pas que le monde ne soit pas exactement comme il le veut. Comme un enfant, il exprime sans cesse une incroyable labilité émotionnelle. Ses grands sentiments varient d'un extrême à l'autre en fonction de la dernière situation vécue. Il peut être attendrissant comme exaspérant, amical comme redoutablement dangereux, téméraire comme pleutre au dernier degré.
Il virevolte, est aussi saoulant que ses cocktails, nous enivre à essayer de suivre sa logique tordue par la dope et la peur, l'aveuglement de ses jugements hâtifs et sa course dingue qui change de but sans arrêt. Pur produit de la société de consommation, cet anti-héros est comme un poisson dans l'eau au sein du système, son cynisme lui tient lieu d'idéologie.
"La clé du pouvoir est de caler son mépris sur le bon timing." (Javier)
Et d'avoir quelques repères intangibles, des êtres au-dessus de tout soupçon : Marcel et Rosmari, ses dealeurs, et Bandini, son chat qui joue le rôle rassurant du "doudou"
Le roi de la contradiction et de l'inconstance! Il aime Tatiana, il déteste Amanda. L'inverse est tout aussi vrai, le dernier aléa survenu déterminant le verbe à employer avec le prénom. Il cherche une image maternelle chez sa dealeuse et une image paternelle chez Frederico, il croit gérer alors qu'il se fait manipuler. Il espère contrôler alors qu'il est totalement en apesanteur. Il se colle la moitié de la production colombienne de cocaïne dans le pif, boit comme un trou, mais ne veut surtout pas se remettre à fumer, c'est mauvais pour la santé ;-)
Natalia Moret met en scène une ville qui ne dort pas, qui s'abrutit à grandes doses de substances psychotropes. Même si l'empreinte des grands auteurs nord-américains est présente, elle a su trouver une mélodie qui lui est propre, une musique plus moderne pour servir une intrigue originale et forte. Ses personnages sonnent juste, son scénario passionne, l'intrigue tient en haleine, que demander de plus ?
Un très grand thriller, déjà par sa forme, une narration haletante, hachée, qui convient parfaitement à l'ambiance et la situation, et par l'histoire bien déjantée qu'il nous fait vivre...
Notice bio
Natalia Moret est née à Buenos Aires en 1978. Sociologue de formation, elle a publié de nombreuses nouvelles dans des anthologies et des revues. Un fils de pub aux abois est son premier roman, il est sorti dans l'excellente département « Fonds Noirs » des éditions La Dernière Goutte.
La musique du livre
La bande originale du livre est à la hauteur du récit. Des stations de radio argentines à la musique des différents lieux de fête ou les albums des protagonistes, la glauquissime saga de Javier est superbement accompagnée.
Sumo pour commencer, un groupe de rock argentin, dont le titre No Good passe à la radio, puis Everybody Knows de Léonard Cohen, la chanson préférée de Javier. Where is my mind des Pixies qui projette Javier dans l'ambiance du film Fight Club et Nowhere Man des Beatles, extrait de Rubber Soul, un des groupes préféré de notre parano...
Un fils de pub aux abois – Natalia Moret – La dernière goutte – 440 p. 2ème trimestre 2014
Traduit de l'espagnol (Argentine) par Marianne Millon