Chronique Livre :
UN JOUR COMME LES AUTRES de Paul Colize

Publié par Psycho-Pat le 10/03/2019
Quatre Sans... Quatrième de couv...
Un matin comme les autres, Éric Deguide prend les clés de la voiture, lance un dernier regard vers Emily, hésite et part sans se retourner. Depuis, réfugiée sur les bords du lac Majeur, Emily ne peut se résoudre à cette disparition, d’autant que la police semble avoir classé le dossier.
Elle, continue de chercher des traces d’Éric, d’essayer de comprendre. Jusqu’au jour où Alain Lallemand, journaliste d’investigation au Soir prend contact avec elle. Lui aussi a connu Éric, et lui non plus ne veut pas se résoudre.
L'extrait
« Le sifflement de la bouilloire retentit.
Je rentre, prépare le café et glisse deux tranches de pain dans le toaster. Je prends le pot de miel en, jetant un coup d'oeil machinal à l'avis de recherche punaisé sur la porte de l'armoire.
Je ne peux m'empêcher de le parcourir à longueur de journée. Mon appartement est sans doute le dernier endroit où il reste affiché. Il y a bien longtemps que les commissariats l'ont retiré pour faire place à des affaires plus récentes. Ils estiment qu'il faudrait construire une muraille de Chine dans chaque poste de police pour répondre à la demande.
Je saisis un marqueur.
20 juillet 2016.
614e jour.
Je ne crois pas au hasard, je fais confiance aux chiffres.
Je suis née le 22 mai 1985. Gémeaux ascendant Lion. Je suis ambitieuse, loyale et généreuse. Mon sens de la justice me met souvent dans des situations délicates.
En numérologie, mon chemin de vie est le 5. J'oscille entre dépendance et indépendance. Je séduis par mon charme, mes paroles et mon esprit.
Mes changements de ligne de conduite sont fréquents. J'aime les déplacements et les déménagements. Je m'investit sans réserve pour atteindre mes objectifs.
Avant ce matin de novembre, je me serais reconnue dans ce portrait.
Un de mes âges-clés est 31 ans. Les prochains, 40 et 49 ans.
Le 22 mai 1985, je venais à la vie et lâchais mon tout premier cri. Ce même jour, Jean-Paul Kauffmann était enlevé à Beyrouth. Ses ravisseurs l'ont libéré après 1037 jours de captivité. » (p. 16-17)
L'avis de Quatre Sans Quatre
Voilà 614 jours qu’Emily attend. 614 jours qu’Éric a disparu. Éric Deguide, son compagnon, chargé de cours à l’université libre de Bruxelles. Un jour ordinaire, il est parti pour une réunion, sans en préciser l’objet ni les participants, et il n’est plus jamais rentré. Depuis Emily attend. Et réfléchit. Et compte. Elle aime les chiffres et leur fait confiance. La jeune femme a la certitude que l’homme qu’elle aime va réapparaître dans 423 jours au plus tard. Une sorte de mystique du nombre qui la rassure. Elle lit également, le deuxième tome de Guerre et paix de Tolstoï qu’elle a déjà lu quatorze fois, parce que c’était le seul livre, avec La bible, que possédait Jean-Paul Kauffmann lors de ses 1023 jours de captivité à Beyrouth et qu’elle y voit un signe, calquant ses calculs concernant Éric sur l’histoire du journaliste-otage. Emily chante, elle a une superbe voix de soprano qu’elle cultive lorsqu’elle est en Italie avec une ex cantatrice devenue professeur. Le couple a séjourné au bord du lac Majeur et la jeune femme y retourne régulièrement, dans la même pension, sur les traces de moments heureux vécus là.
Loin d’être résignée, elle cherche, contacte des gens, la police semble ne pas se bouger beaucoup, alors il reste Internet et les sites spécialisés dans les crimes et les disparitions, comme celui de Michel Lambert, dédié aux affaires criminelles belges. Celui-ci hésite au premier abord, rien n’indique que Deguide ait été victime de quoi que ce soit, puis rencontre Emily et en tombe aussitôt amoureux, bien qu’il soit bien plus âgé et malade. Elle sera également contactée par un journaliste du Soir, Alain Lallemand qui a connu Éric et qui soupçonne bien plus qu’une simple disparition comme il s’en produit des dizaines de milliers chaque année.
Éric Deguide avait changé les derniers temps, parlait peu de la dernière cause qu’il défendait. Certes il s’était toujours enflammé pour ses chevaux de bataille, écologiques, politiques, humanitaires, mais pas au point d’en devenir secret et violent. Lambert, Lallemand et Emily vont découvrir peu à peu que l’universitaire avait mis le doigt sur des malversations et des magouilles de très grandes envergures dans un secteur où on ne plaisante pas avec les risques de divulgation. D’autres morts, bien des faits étranges et des témoignages vont rendre l’intrigue de ce roman de plus en plus oppressante et sombre.
Parallèlement, Emily, dans sa quête de vérité à propos d'Éric, y découvre une partie de la sienne, fascinée qu’elle était par son compagnon, elle s’était, jusqu’à son évaporation, un peu négligée. Au gré de rencontres et de correspondances, sans relâcher ses investigations, elle reprend sa vie en main, se réinvestit. Un partenaire de chant dans un duo organisé par sa professeure de bel canto ou les lettres d’un personnage énigmatique à souhait lui contant des épisodes de sa vie, le vide de l’attente se remplit, Emily reprend pied et comprend petit à petit ses propres mécanismes.
Bâti comme un opéra en quatre actes, Un jour comme les autres ne déroge pas aux habitudes de Paul Colize, il accompagne ses personnages jusqu’aux tréfonds de leur âme. Certes il y a l’intrigue principale, ce trafic sur lequel Deguide est tombé, mouillant des personnalités de premier plan, cette partie presque policière de l’histoire, mais le fond reste l’analyse des différents intervenants, leurs ressorts intimes et la découverte de la part de mystère enfermée dans chaque être, le jeu subtil des relations et de leurs conséquences.
Le roman baigne dans la musique, le chant, les airs tragiques, toutes les héroïnes d’opéra meurent à la fin, pourtant, transposé dans ce livre, ces arias deviennent des hymnes à la vie et à la résilience. Il s’agit d’expliquer la disparition d’Éric mais aussi d’organiser, de retravailler la nouvelle vie d’Emily, l’un ne peut aller sans l’autre. Éric est allé au bout de son combat, sur un terrain miné, celui des trafics, des contrats fantômes, des intermédiaires véreux, celui où une vie ne compte pas, il aura au moins permis à Emily de s'émanciper de sa jeunesse difficile.
Un jour comme les autres est un roman noir, parfois oppressant tant le mystère est épais et le danger présent, la volonté d’Emily, sa pugnacité à retrouver la trace de son amour disparu vont la mener sur des chemins de traverses où elle se rencontrera elle-même. La vérité également, l’incroyable vérité d’un dénouement soigneusement amené, basé, ainsi que toutes les intrigues de Paul Colize, sur des faits réels, des aspects glauques de notre monde.
Un très grand roman noir, mais pas que, une analyse pointue et pleine de sensibilité de personnages attachants ou énigmatiques, servi par une écriture élégante et efficace !
Notice bio
Paul Colize est né en 1953 à Bruxelles. Il est consultant en management et organisation. Son premier roman, Les Sanglots Longs est paru en 2000. Il est l'auteur d'une dizaine de romans et de nombreux recueils tous très documentés. Il vit à Waterloo. Parmi ses grands romans, Back Up (2012) et Un Long Moment de Silence (2013) tous deux parus à La Manufacture de Livres et Concerto pour 4 mains (Fleuve Éditions - 2015). À noter également sa participation à l'excellent recueil Bruxelles Noir, publié par Asphalte Éditions (2015)
La musique du livre
Outre la sélection ci-dessous, sont évoqués : Verdi – La Traviata, Bellini, Rossini, Monteverdi, Wagner, Whitacre, Tavener, Gjeilo, Bruckner, Chuck Berry, ZZ Top, Ambroise Thomas – Hamlet, Nirvana – Smells Like Teen Spirit, Gounod – Ave Maria...
Donizetti – Robert Devereux – Beverly Sills
Kiri Te Kanawa - Si mi chiamano Mimi - La Bohème - Puccini
Jean-Jacques Goldman – Tout au bout de mes rêves
Philip Stopford – Lully, Lulla, Lullay
Rival Sons - Thundering Voices
Rolling Stones – Little Baby
UN JOUR COMME LES AUTRES – Paul Colize – HC Éditions – 438 p. mars 2019
photo : Lac Majeur - Wikipédia