Chronique Livre :
UNE CONFESSION de John Wainwright

Publié par Psycho-Pat le 28/06/2019
Quatre Sans... Quatrième de couv...
À cinquante ans, John Duxbury est secrètement déçu par son existence. Son travail est devenu une routine, son mariage sombre dans la grisaille, il ne sait plus comment être heureux.
Bientôt, c’est un drame qui s’abat sur lui. Alors qu’il est en vacances avec sa femme, Maude, celle-ci fait une chute mortelle. Quelques temps plus tard, un homme se présente au commissariat. Il a été témoin des faits et prétend que c’est John qui a poussé sa femme dans le vide.
L’inspecteur Harker, chargé de l’enquête, s’engage à corps perdu dans la recherche de la vérité, jusqu’à l’ultime face-à-face.
L'extrait
« MARDI 2 NOVEMBRE
Quelle journée risible !
Je découvre qu'en tenant ce journal, je peux me débarrasser de ce qui autrement serait une exaspération confinant à la fureur. J'arrive (parfois difficilement) à rester calme dans l'attente de ce moment où, avant d'aller au lit, je peux coucher sur le papier ce qui, à l'aune de la normalité, dépasse tout en termes de mauvaises manières.
Je n'ai guère besoin de te rappeler que, lorsque l'envie lui en prend, ta chère mère possède une langue de vipère. Ce qu'elle nie, bien entendu. Elle croit (et je pense qu'elle le croit vraiment) que ses régulières sautes d'humeur, de plus en plus rapprochées ces temps-ci, ne sont absolument pas des sautes d'humeur. On peut lui rappeler ce qu'elle a dit. La citer mot pour mot. Elle prendra un air choqué et blessé, puis déformera les mots, les réinterprétera à sa manière et réitérera ses propos d'une voix plus posée. « Voilà ce que j'ai dit », insistera-t-elle. Mais si elle avait réellement ce qu'elle affirme avoir dit, du ton pondéré qu'elle prétend avoir employé, personne n'aurait été choqué et, personnellement, je n'aurais ressenti aucun embarras.
Harry, mon fils, crois-moi.
J'aime profondément ta mère. Je n'aurais épousé aucune autre femme. Je n'aurais jamais voulu avoir d'autre fils que toi, pas plus que je n'aurais voulu qu'une autre femme que la mienne soit la mère de ce fils. Que cela soit bien clair. C'est la vérité vraie. Crois-moi sur ce point et ensuite tu pourras critiquer autant que tu le voudras.
Avec elle, un détail totalement insignifiant et stupide peur engendrer un énorme conflit (généralement unilatéral). Une légère fêlure dans une tasse de thé. Une fêlure pas plus large qu'un cheveu.
À midi, j'avais retrouvé Maude comme prévu. Pour de nouveaux rideaux pour le salon. Les choisir et les faire ourler. Ça a débuté comme ça. Elle n'était pas d'humeur, ou plutôt elle était de mauvaise humeur. Avions-nous les moyens d'acheter ceux-là ? À coup sûr nous ne pouvions nous le permettre ? En fait, elle monologuait. Décider ! Pourquoi, au nom du ciel, n'est-elle jamais capable de prendre la moindre décision ? Elle avait bien sûr totale liberté. Couleur, style, tout. Mon unique exigence était d'avoir des rideaux de bonne qualité, pouvant nous durer des années. J'ai suggéré du velours, et je me suis entendu dire de ne pas être grotesque. Après quoi j'ai gardé mes opinions pour moi.
Il aura fallu cinq magasins avant qu'elle se décide et même alors sa décision manquait de conviction. Même moi, je pouvais le sentir. Aussi ai-je suggéré d'essayer un autre jour. Dans d'autres magasins. J'ai été ridiculisé devant le vendeur. Un homme ! Que pouvais-je y connaître en tissus ? Que pouvais-je savoir des assortiments de couleurs ? » (p. 14-15)
L'avis de Quatre Sans Quatre
Professionnellement parlant, John Duxbury a tout pour être satisfait. Il atteint la cinquantaine en ayant réussi de faire de son imprimerie une affaire prospère. Des maisons d'édition de Londres commencent à s'intéresser à son travail, son fils unique, Harry, travaille avec lui et prendra la succession, son aisance financière est confortable, tous les voyants sont au vert. Tout va pour le mieux donc pour cet Anglais introverti, discret, fumeur de pipe et patron légèrement paternaliste. Tout sauf son couple. Son épouse, bien aimée, il le répète à l'envi, encore et encore, tout au long du journal qu'il a entamé le jour de son anniversaire, lui pourrit littéralement la vie. Qu'elle ait décidé seule de faire chambre à part, il le déplore mais l'accepte, mais ses colères et réflexions sournoises, à longueur de temps, l'épuisent. Chaque détail du quotidien peut devenir un prétexte à se faire humilier ou rembarrer, même en public, surtout en public. Jamais de dispute, de scènes de ménage emplies de cris, John ne réplique pas, il fuit.
John ne se lie pas facilement, il n'a pas d'amis sur qui compter, il en a eu, Maude les a faits fuir. Il n'ose parler de ses difficultés à son fils, aussi se confie-t-il à cette sorte de journal intime qui lui permet de clamer son amour inaltérable envers son épouse, et les milles tourments qu'elle lui fait subir. Après un épisode épique au cours duquel Maude l'a fait suivre par un détective privé, sur la foi d'une lettre anonyme affirmant que John avait une maîtresse, Duxbury propose une semaine de vacances au bord de la mer afin de repartir sur de nouvelles bases. Hors saison, ils y seront tranquilles. Un seul autre couple loge à l'hôtel, un professeur écologiste et végétarien prosélyte, et son épouse, que l'imprimeur éconduit bien vite. Une balade au bord de la falaise, un sol un peu glissant, et Maude chute, se tue. Accident conclut le coroner, l'affaire est entendue. Trois jours plus tard, le professeur écolo vient faire une déposition au commissariat : il observait les oiseaux et a vu, dans ses jumelles, John pousser Maude, il en est sûr et certain...
La police est dans l'embarras, revenir sur les conclusions d'un coroner, ce n'est pas rien, et, à coup sûr, une source d'emmerdements sans fin. Cependant son chef confie l'enquête, discrète, à l'inspecteur Harker, proche de la retraite. Un acharné qui ne s'arrête que lorsqu'il a trouvé la vérité, sans pour autant se faire d'illusion sur la justice ni ses supérieurs. Tour à tour, les protagonistes du roman vont livrer leurs investigations, leurs vérités, leurs interprétations des événements. Tout le monde parle, donne son point de vue, exceptée Maude qui n'a pas voix au chapitre, ce sera à l'inspecteur Harker de se substituer à elle, d'expliquer comment et pourquoi une jeune femme plutôt timide s'est transformée en harpie. Le flic, ronchon, en fait une affaire personnelle. Il va peu à peu mettre son nez dans tous les ragots circulant sur Duxbury : les récriminations d'employés mécontents, les petites rumeurs de provinces, les faits ambigus... L'imprimeur continuera à se confier à son journal, qui ressemble de plus en plus à un testament à destination de son fils, une justification de toutes ces années où il n'a pas réagi face aux vexations que lui faisaient endurer Maude.
On retrouve dans Une confession la tension permanente du remarquable film de Claude Miller, Garde à vue, adapté d'un précédent polar de John Wainwright, À table ! (Série Noire). Sans confrontation directe, ou fort peu, le flic retarde le plus possible la rencontre et l'interrogatoire du veuf, potentiel assassin. Tour à tour, les deux hommes exposent leurs convictions, leurs versions de l'histoire, les faits et les conclusions que l'on peut en tirer. L'un explique combien il tenait à son épouse, mais ne manque pas une occasion de la décrire comme une marâtre à chaque paragraphe, l'autre empile les confidences des connaissances et de ceux qui ont côtoyé John pour affiner son appréciation. Harker doit traverser un océan de semi-vérités et de mensonges, venant de toutes parts, avant de parvenir à la seule explication cohérente des faits.
Ce roman ne serait pas exceptionnel s'il se contentait de se clore sur les conclusion de l'enquête, sur l'aboutissement des recherches, l'auteur va plus loin, surprend encore, persévère dans sa réflexion sur la justice et la vérité. Simenon disait qu'Une confession était un roman inoubliable, entendez par-là, connaissant l’égocentrisme de l'écrivain belge, que celui-ci ressemble en bien des points à ses propres romans les plus noirs, les plus pessimistes. John Wainwright avance à petites touches, épaissit peu à peu ses personnages, les charpente avec minutie, vous donne l'impression de tout savoir afin de mieux vous surprendre quelques lignes plus loin. En avançant dans le livre, on sait, confusément, on devine. Là est l'important, confusément, car tout est confusion, brouillard entretenu et faux-semblants. Cette confession est un marais dans lequel on ne sait jamais si le prochain pas est assuré ou le début des sables mouvants. Le flic est aussi énigmatique que le suspect, l’intrigue, simplissime - un homme a-t-il tué son épouse au cours d'une randonnée ? - laisse à l'auteur le soin de se livrer à une dissection magnifique de la complexité humaine.
Un très très grand polar, une analyse psychologique magnifique, des personnages d'une densité extraordinaire se débattant dans une histoire cruellement ordinaire...
Notice bio
John Wainwright (1921-1995) est né dans le Yorkshire, à l’Ouest en Angleterre. Il quitte l’école à 15 ans, et s'engage dans l'aviation anglaise où il devient canonnier lors de la Seconde Guerre mondiale. Il a ensuite travaillé dans la police d’investigation, ce qui a nourri durablement son œuvre et donne un réalisme confondant à sa peinture des commissariats britanniques. Parallèlement à son activité professionnelle, il reprend des études et obtient un diplôme de droit en 1956. Il quitte son poste dans la police en 1966, pour se consacrer entièrement à l’écriture.
L’écrivain britannique est notamment connu pour ses romans policiers. Très prolifique, il a écrit 83 ouvrages et de nombreuses nouvelles nouvelles tout au long de sa vie. Il a également écrit sous le pseudonyme de Jack Ripley, sous lequel il a publié quatre titres.
Son roman À table ! est publié en Série noire et adapté au cinéma en 1981 par Claude Miller avec Michel Serrault et Lino Ventura (Garde à vue).
John Wainwright meurt en septembre 1995, peu après la parution de son dernier roman, The Life and Times of Christmas Calvert... Assassin.
La musique du livre
Fats Waller - Ain't Misbehavin'
UNE CONFESSION – John Wainwright – Sonatine Éditions – 270 p. mars 2019
Traduit de l'anglais par Laurence Romance.
photo : Pixabay