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Chronique Livre :
UNE ENQUÊTE DU VÉNÉRABLE JUGE TI de Qiu Xiaolong

Chronique Livre : UNE ENQUÊTE DU VÉNÉRABLE JUGE TI de Qiu Xiaolong sur Quatre Sans Quatre

Quatre Sans Quatrième… de couv…

En un temps d’âpres luttes pour le pouvoir, dans la Chine du IXe siècle, un messager impérial vient demander au célèbre juge Ti d’enquêter sur un meurtre dont est soupçonnée la poétesse- courtisane Xuanji. Alors que la belle et talentueuse jeune femme croupit dans une geôle en attente de la sentence, l’enquête du juge le mènera à des secrets qu’il est préférable d’ignorer.


L’extrait

« Ti avait été jeté dans la bataille à cause d’une pétition qu’il avait récemment soumise à l’impératrice. La souveraine devait choisir son successeur et hésitait entre son neveu, le ministre Wu, de la famille Wu, et son fils, le prince Li, de la famille Li. Pour un lettré confucéen fonctionnaire de l’Empire, l’idée qu’une concubine devenue impératrice désigne un membre de la famille Wu et non un membre de la famille Li était intolérable, et Ti lui avait donc rappelé que la tradition ancestrale voulait que le souverain suprême préfère son fils à son neveu, afin d’assurer à l’Empire une transition légitime et sans controverse. L’impératrice voyait en Ti un homme honnête, droit et digne de confiance, mais elle avait été vexée par ses arguments pointilleux basés sur des principes confucéens poussiéreux.
Pour ne rien arranger à l’affaire, au même moment, un scandale avait éclaté au sujet d’une liaison entre le prince Li et une dame du palais. Bien que l’impératrice ait accepté à contrecœur de ne pas désavouer son fils, elle lui avait ordonné de rester quelque temps hors de la capitale. Et voilà que le nouveau poste de Ti l’obligeait aussi à quitter Chang’an...
Perdu dans ses pensées, Ti regardait les ombres dansantes projetées par la flamme sur la fenêtre. Il croisa son reflet brouillé dans le miroir de bronze et se résolut à oublier la politique pour l’instant.
Dehors, une bruine se remit à tomber. Le petit étang semblait se gonfler de souvenirs du temps passé. Quelques vers à moitié oubliés lui revinrent en mémoire.
Une bougie tremble sous la pluie nocturne / traversant des rivières et des lacs, années après années.
Il sentait qu’il n’arriverait pas à trouver le sommeil. Il devenait vieux, sans doute. Pourtant la nuit était calme et tranquille. Des années plus tard, il repenserait peut-être avec nostalgie à cet instant de solitude.
Il continua à lire et sentit qu’il commençait à somnoler. Il venait de décider de se mettre au lit quand un éclair déchira le panneau en papier de la fenêtre, traça un demi-cercle dans l’air et se planta dans une vieille colonne de bois rugueux - à quelques centimètres de la table où Ti était assis, tétanisé par l’apparition. » (p. 10-11)


L’avis de Quatre Sans Quatre

Tandis que Qiu Xiaolong fignole la prochaine affaire de l’inspecteur Chen Cao (Un dîner chez Min, prévu le 4 février 2021 aux éditions Liana Levi), son flic préféré nous offre une savoureuse enquête, poétique et tragique, du vénéré juge Ti. Peut-on rêver meilleur travail d’équipe entre un auteur et son personnage ?

Ti Jen Tsié, alias le juge Ti, fut un personnage historique important au VIIe siècle, sous la dynastie des Tang. Juge intègre, conseiller de la cour, poète, enquêteur surdoué, son nom resta dans l’imaginaire chinois, avant de devenir un personnage de roman adopté par de nombreux auteurs, dont le plus fameux, Robert van Gulik. Ce diplomate néerlandais lui a consacré 17 récits (éditions 10-18). L’un d’eux, Poètes et assassins, traite du même crime que le récit de l’inspecteur Chen, celui-ci nous présente une vision personnelle de l’affaire de la poétesse, bien réelle également, Yu Xianji (844-871), accusée d’avoir battue à mort sa servante et dissimulé son cadavre dans son jardin. La version d’un homme du XXIe siècle, rompu aux roueries du pouvoir et des complots de cour.

La situation du juge Ti n’est pas florissante lorsque s’ouvre ce roman. Il a fâché l’impératrice, une ex-concubine, ex-nonne, parvenue au titre suprême par une suite de hasards et de machinations. Elle l’a éloigné de la cour en le nommant « Commissaire impérial de circuit du grand Empire Tang ». Le juge doit donc, accompagné par son fidèle lieutenant Yang, quitter la capitale de l’Empire et se rendre en province. Dès sa première étape, la nuit venue, alors qu’il n’est encore que dans les lointains faubourgs de la ville, un couteau, surgi par la fenêtre, se plante dans une poutre de sa chambre. Un message de mise en garde y est joint, fort sibyllin, qui laisse Ti perplexe, et son serviteur inquiet. Pour couronner le tout, à peine remis de ses émotions, un messager, envoyé par le premier ministre Wu, qui ne l’aime guère, lui demande d’accepter de se pencher sur une enquête à propos d’une poétesse, emprisonnée après avoir avoué le meurtre de sa servante. Aveux obtenus par le juge chargé du dossier, Pei, après quelques séances de torture et une bastonnade publique de la suspecte...

Impressionné par la qualité des poèmes de la jeune femme, Ti va prétexter le désir d’en éditer une anthologie afin de pouvoir mettre son nez dans cette affaire et interroger les proches de Xianji, se renseigner sur ses nombreux amants et rencontrer des témoins. Les rumeurs les plus folles galopent de ferme en ferme, de hameau en village. Dans ce coin de campagne, la superstition tient une place importante dans les croyances populaires et le bruit court qu’un renard noir (très mauvais signe) a été vu fort souvent dans les environs de l’ancien monastère où habite Xianji.
Ti mène les investigations sur tout ce qui demande subtilité, et quelques pouvoirs, comme celui de parvenir à entrer dans la prison afin d’interroger la poétesse, Yang, fougueux détective et serviteur attentif, des perquisitions et recherches d’indices, tâches dans lesquelles il excelle.

Cette enquête autour des jeux du pouvoir, des sens cachés des strophe de poèmes enflammés et de la manière d’utiliser les croyances afin de manipuler les superstitieux, m’a replongé dans les délices des aventures du juge Ti par Robert van Gulik. Chen Cao/Qiu Xiaolong fait bien mieux qu’un à-la-manière-de, il s’est emparé du personnage pour fournir une nouvelle interprétation, une variation passionnante de celle fournie dans Assassins et poètes.

Ti avance à sa manière, impénétrable, discret, habile et rusé, lisant et relisant les vers de Xianji, fouillant dans son passé, dans celui des nombreux hommes qui ont fréquenté sa couche, ce qui donne une enquête tout en dentelle fine, en circonlocutions délicates rythmées par les poèmes et les citations confucéennes du juge. Toute son adresse à analyser les indices et les signes sera nécessaire tant la situation est confuse, les évidences nombreuses n’étant souvent qu’apparences. Je suis persuadé que la lecture de cette affaire vous donnera envie de découvrir d’autres aventures de Ti sous la plume de Robert van Gulik.

Une belle enquête du juge TI, âpre, difficile, complots et amours en Chine au IXe siècle, une poétesse, des hommes de pouvoir, des aveux plus que douteux, un polar habile à découvrir !


Notice bio

Qiu Xiaolong naît à Shanghai en 1953. Durant la Révolution culturelle, son père est la cible des Gardes Rouges et lui-même est privé d'école. Il apprend seul l'anglais et se passionne pour la littérature anglo-américaine, en particulier l'œuvre de T. S. Elliot. Il poursuit ses recherches à Saint-Louis, aux États-Unis, et décide de s'y installer définitivement. Après les événements de Tian'anmen. Il est l'auteur de nouvelles, du cycle de la Poussière Rouge et de dix romans policiers. Ses livres se sont déjà vendus à plus d’un million d'exemplaires à travers le monde. Cyber China, (Liana Levi - 2012) s'intéressait à la censure des réseaux sociaux en Chine, le suivant Il était une fois l'inspecteur Chen décrivait la jeunesse de l'inspecteur et la période de la Révolution culturelle, et Chine, retiens ton souffle parlait bien évidemment d’écologie et de pollution de l’air.


UNE ENQUÊTE DU VÉNÉRABLE JUGE TI - Qiu Xiaolong - Éditions Liana Levi - collection Piccolo Policier - 139 p. novembre 2020
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Adélaïde Pralon

photo : Tybo pour Visual Hunt

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