Chronique Livre :
UNE ÎLE BIEN TRANQUILLE de Pascale Dietrich

Publié par Psycho-Pat le 04/05/2016
photo : paysage de Bretagne (Pixabay)
Le pitch
Edelweiss, une jeune avocate, rentre sur son île natale, à Trevedic, au large de Brest. Son père, maire de l'île et botaniste émérite, vient de tomber de la falaise, emporté par le vent violent. Il n'a pas survécu à sa chute. Cela fait des années qu'elle n'y est pas revenue et Edelweiss va aller de surprise en surprise. Elle nourrit de gros doutes sur les circonstances exactes du décès de son père et constate que les habitants de Trevedic semblent avoir beaucoup changé, surtout pour ce qui est du niveau de vie.
Qui une voiture hors de prix, qui un yacht, une maison magnifique, un troquet réhabilité entièrement, jusqu'à son père qui lui laissé un joli magot, l'ensemble des îliens, ou presque, semble avoir gagné au loto. Le conte de fée pourtant n'est pas encore à l'ordre du jour : des balles de tennis ornées de têtes de mort atterrissent dans son jardin, elle retrouve la tête de Pasqua, son chien, dans son frigo, et tombe sur bien des réticences à faire parler ses anciens amis. Un lieu clos où tout se sait et rien ne se dit...
Edelweiss décide de rester quelques temps sur place pour examiner les événements. Elle doit organiser les obsèques, accueillir son frère et, puisqu'elle est là, coupée de tout, prendre le temps de reconsidérer sa relation avec Walter, son compagnon, un hipster conservateur de musée.
L'extrait
« Tombé d'une falaise donc... Dit de cette façon, cela semblait presque comique, digne d'un cartoon pour enfants. À Trevedic, le vent était toujours désigné coupable : des naufrages, des dégâts matériels, des maladies physiques et psychiques (le vent ne rend-il pas fou?), et même des décès suspects. À cet endroit, avait ajouté Solar, les rafales sont si violentes qu'elles peuvent soulever un bœuf. Est-ce qu'il avait écrit ça dans son rapport ? J'avais du mal à imaginer papa, bâti comme une armoire de ferme, arraché du sol tel un vulgaire cerf-volant. Et puis, il aurait su réagir, il se serait jeté à terre, agrippé aux fougères, aux brins d'herbe, à la vie, quoi ! Non, ça ne collait pas. Mon père n'était pas un faible, un mou, un indécis qui succombait à un souffle d'air, si féroce soit-il. Quelque chose clochait dans ce drame. Je n'avais fait part de mes doutes à personne, pas même à Walter. Peut-être espérais-je que mon séjour sur l'île éclaircirait les choses : il fallait revenir sur les lieux pour me faire une idée. »
L'avis de Quatre Sans Quatre
Hé bé ! Il s'en passe des choses à Trevedic. Pas que du dramatique, même si le roman s'ouvre sur la mort du père d'Edelweiss, du drôle et du surprenant également. Juste de l'autre côté du port de Brest, je suis très tenté de prendre le prochain ferry...
Le classique retour aux sources revisité avec talent et beaucoup d'originalité dans ce court livre qui se lit d'une traite tant on brûle d'en connaître l'épilogue. Edelweiss connaît tous les recoins et habitants de l'île, mais voilà, elle ne les reconnaît plus. Parisienne d'adoption, prise par ses occupations, elle ne vient plus qu'en coup de vent (anodin celui-ci) visiter son père. Cette fois, elle est bien obligée de rester au moins le temps des obsèques et les questions relatives au décès de son père sont nombreuses. Les circonstances pour commencer, l'argent qu'il lui a laissé, que n'explique pas les revenus paternels, le soudain enrichissement de nombreux îliens, les mystères d'Alex, sa meilleure amie depuis l'enfance, enceinte d'elle ne sait qui, évasive pour le moins.
Son premier amour de même, changé, métamorphosé, propriétaire d'une magnifique voiture, le troquet branché de ses jeunes années refait à neuf... Rien ne colle, tout est comme avant, mais différent, subtilement modifié. Le poids du silence complice de ceux qui savent et l'excluent. Et puis il y a les menaces implicites ou explicites, les balles de tennis, le massacre du chien, l'énigme qui s'épaissit, prend de l'ampleur, touche chaque souvenir, chaque lieu cher à son cœur et à ses souvenirs.
Pascale Dietrich sait faire vivre ses personnages, brouiller les pistes et créer une ambiance insulaire. Elle excelle à raconter une histoire tordue sur un rythme de swing, le temps de la réflexion qu'Edelweiss pensait prendre ne l'empêchera pas d'agir, fouiner partout, d'oser défier les menaces pour tenter d'expliquer tous les mystères et la frénésie qui semblent avoir pris le contrôle de son île. Tant qu'à remettre son couple en question, l'héroïne ne va s'arrêter en si bon chemin et revoir toute sa vie et son système de valeurs.
Les jeux subtils entre les différents personnages animent le livre, le rendent vif et percutant. Les éléments se mettent en place peu à peu, sans hâte, le temps de la découverte et de la déduction. La fin est très originale et inattendue, une vraie belle surprise. L'auteur joue avec la morale communément admise, l'ironie, les retournements de situations soudain. C'est frais, inventif, habile, le dépaysement est total et l'atmosphère de lieu clos parfaitement rendue. Les difficultés financières des communes oubliées, le travail de bénédictins des « petits » maires qui souhaitent dotés leur village, ou leur île, d'équipements décents, il n'y a pas que les malheurs d'Edelweiss dans ce récit, la sociologue refait surface, ajoutant un intérêt supplémentaire au scénario.
Du court, mais du bon ! À lire comme un week-end au bord de la mer. Fantasia dans le varech, tragédie iodée, Une Île Bien Tranquille tient ses promesses de bout en bout.
Notice bio
Pascale Dietrich est née à Tours en 1980. Sociologue à l'Ined à Paris, ses travaux portent sur les inégalités face au logement et les conditions de vie des plus démunis. Côté écriture, elle a publié des nouvelles dans des revues et des collectifs (Monsieur Toussaint Louverture) ainsi qu'un court roman, Le Homard, éditions In8 en 2013.
La musique du livre
Edelweiss passe un CD de gospel dans sa voiture, elle l'écoute en boucle, arbitrairement j'ai choisi les Harlem Gospel Singers qui chantent Go Down Moses.
Elle se rend dans le bar branché de l'île et y entend les Sex Pistols qui balancent Anarchy in the UK.
UNE ÎLE BIEN TRANQUILLE – Pascale Dietrich – Liana Levi – 157 p. mai 2106