Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
UNITÉ 8200 de Dov Alfon

Chronique Livre : UNITÉ 8200 de Dov Alfon sur Quatre Sans Quatre

Quatre Sans... Quatrième de couv...

Le passager israélien fraîchement débarqué à Roissy ne pensait pas que sa mauvaise plaisanterie allait si mal tourner. La blonde qui servait d’appât ne savait pas à quelle danse macabre elle participait. Les Chinois chargés d’orchestrer l’enlèvement n’avaient pas la moindre idée du guêpier dans lequel ils se fourraient. Ni qu’un grain de sable s’était glissé dans les rouages bien huilés de la grande machine du crime organisé.

Mais au fait, qui est aux commandes? Mafias, services secrets, gouvernements ?

Entre Paris et Tel-Aviv, Washington et Macao, les vingt-quatre heures les plus folles qu’un commissaire français, un gang chinois, un officier israélien désabusé et son intrépide adjointe aient jamais connues.


L'extrait

« - Vous l'aviez remarqué pendant le vol ? demanda Chico à Abadi. C'est à ce Meidan que nous devons d'être ici ?
Les deux hommes s'étaient détachés de l'équipe d'enquêteurs de Charles-de-Gaulle et arpentaient le hall d'arrivée du terminal 2.
- Je ne suis pas là, dit Abadi en se tournant pour faire face au représentant de la police israélienne, qui stoppa net.
Ne sachant pas trop comment réagir, Chico passa la main dans sa tignasse rousse.
- Bien sûr, bien sûr, s'excusa-t-il. Je comprends fort bien que vous préfériez ne pas parler de votre mission. En fait, j'aime autant cela.
- Et d'ailleurs, je n'en parle pas, répliqua Abadi.
Cet enlèvement est vraiment étrange, dit Chico, avant d'ajouter à voix basse : Cette enquête se présente assez mal. Nous aurons peut-être à intervenir.
Sans prendre la peine de répondre, Abadi revint vers le commissaire Léger. Quelle enquête sur une personne disparue se présentait bien dans les premières heures ? Les faits n'étaient pas clairs, il n'y avait aucun motif apparent, les témoins se contredisaient, et tout lambeau de preuve avait disparu. La police israélienne n'aurait sans doute pas fait un meilleur travail.
Aussi ne fut-il pas surpris des résultats que lui présenta le capitaine de la police de l'air quand ils parvinrent à sa hauteur.
Nous avons un passager israélien, Yaniv Meidan, 25 ans, directeur marketing, qui a disparu du terminal comme s'il s'était évanoui de la surface de la terre. Les témoins affirment qu'il a été enlevé dans le hall des arrivées par une femme qu'il ne pouvait absolument pas connaître, une grande blonde dans un uniforme d'hôtel rouge. » (p. 19-20)


L'avis de Quatre Sans Quatre

Incroyable mic-mac à l'aéroport Charles-de-Gaulle. La disparition – l'évaporation – d'un citoyen israélien dans des conditions rocambolesques intrigue sérieusement la police française et, Chico, le représentant de la police israélienne. Le kidnappé, un petit rigolo toujours en train de plaisanter, mais ne présente aucun intérêt stratégique pour qui que ce soit, ni riche ni espion, ni quoi que ce soit de financièrement intéressant ou politiquement excitant. Voilà qui plonge le commissaire Léger dans des abysses de questions sans réponses, il sent l'embrouille gênante à deux doigts de tirer sa révérence. On n'enlève pas un passager ainsi, sans raison, sans revendication. Yaniv Meidan n'a de lien avec aucun service de sécurité hébreu - pourtant il y en a un sacré paquet. Ce type était simplement venu à Paris assister à une rencontre entre geeks et s'est laissé embarquer par une blonde vêtue d'un uniforme d'hôtel. À peine quelques images du système de surveillance vidéo, de vagues témoignages de passants et de ceux qui l'accompagnaient, et plus rien...

Au même moment, à Tel-Haviv, une réunion de tous les pontes des nombreuses agences de renseignement se tient au quartier général de Tsahal. Il y est question de réorganisation et de coopération entre services, traduire de luttes de pouvoirs et de manœuvres occultes. La période est délicate : le premier ministre et son épouse sont sous les feux des projecteurs de la presse pour quelques dizaines de milliers d'euros des contribuables dilapidés hors de tout cadre officiel. Ah, ces journalistes, toujours à chercher des histoires et à couper les cheveux en quatre. Il est temps d'allumer un contre-feu et l'enlèvement de l'aéroport pourrait finalement être utile.

Le lieutenant Oriana Talmor représente l'Unité 8200, son commandant ayant été évincé de son poste pour une raison obscure, en attendant le retour au pays du nouveau promu, le colonel Zeev Abadi. Personne ne sait où il est celui-là d'ailleurs. Déjà qu'il n'a pas un excellent dossier puisqu'il a, par le passé, manifesté sa sympathie là où il ne fallait pas. Au fur et à mesure que les informations tombent sur la situation à Paris, les grands chefs se rassurent. L'événement n'a rien à voir avec la sécurité d'Israël, il semble qu'il y ait eu un quiproquo et les ravisseurs ont enlevé la mauvaises personne. Par contre, il apparaît vite que des Chinois sont dans le coup, et, avec eux, on ne sait jamais. Ce peut n'être qu'un règlement de compte entre mafias, un trafic quelconque qui aura mal tourné, mais tout autant une manœuvre masquée et alambiquée des services secrets de Pékin. Reste à savoir ce que veulent les kidnappeurs...

Zeev Abadi est précisément à Charles-de-Gaulle, en compagnie du commissaire Léger, à qui il va en faire voir de toutes les couleurs. Le vieux flics du 36 est aux portes de la retraite et les inspirations et initiatives brusques de cet Israélien impétueux vont le mener au bord de la crise de nerf. Sans se connaître Oriana et son chef vont travailler de concert sur cette affaire, dans le plus grand secret, non par peur d'une quelconque intrusion ennemie dans leurs conversations téléphoniques, mais afin d'échapper à la surveillance des autres services hébreux. La hiérarchie ayant décidé qu'il était profitable que cet enlèvement soit une erreur ou un fait divers, tenter de prouver le contraire n'est pas sans risque. Cynisme, vous avez dit cynisme ?...

On suit donc l'affaire entre Paris et Tel-Haviv, dans les pas d'Oriana, un personnage attachant, rusé, sympathique et culotté, d'une loyauté sans faille envers son responsable inconnu, quitte à provoquer de grands remous au sein des hautes sphères, ou dans ceux d'Abadi qui épuise le commissaire Léger à courir aux quatre coins de la capitale sur les traces des Chinois et de toutes les pistes pouvant se présenter. Le flic sur le retour tente tout pour calmer son encombrant collègue, l'intimidation, la complicité, la complémentarité, mais il a désespérément deux ou trois longueurs de retard à chaque étape.

Unité 8200 est un polar très politique, le gouvernement israélien et ses services de renseignement ne sont pas épargnés. L'ambiance de paranoïa générale, qui doit être commune à toutes les officines de ce genre, est renforcée par les luttes entre les différents services, l'opacité des décisions, la corruption du sommet de l'État, donnant de mauvaises idées à la base, le carriérisme, les ambitions et les jeux stratégiques internes dont les résultats apparaissent plus préoccupants que la vie d'un citoyen lambda disparu à Paris. Surtout si l'enquête met à jour des dysfonctionnements importants au cœur même du système. Un panier de crabes, enfermé dans un nid de frelons, posé sur une fosse aux serpents, c'est là qu'Oriana et son supérieur mettent les pieds.

Pour Abadi et Oriana, pas de question à se poser, ils foncent, louvoient lorsque c'est nécessaire, à un rythme de 007 en surchauffe. Ça flingue, atomise et castagne de partout. L'ensemble de l'intrigue se déroule en 25 heures, autant vous dire que les temps de pause sont absents, même pas le minimum syndical.

Dov Alfon, en bon journaliste, entremêle parfaitement questions politiques, sociales et récit dramatique, avec une sacrée dose d'humour et d'action pour faire passer le tout. Unité 8200 est un page turner efficace en même temps qu'un polar qui n'hésite pas à mettre le doigt là où ça fait mal. Bref, c'est du tout bon dans tous les domaines, aussi bien suspense, courses-poursuites, bagarres, fusillades qu'analyse de la société, pas si restreinte que cela, du renseignement israélien ou les turpitudes des mœurs politiques de l'État hébreu. Le tout récemment réélu premier ministre traînant depuis longtemps un nombre considérable de casseroles qui sont loin d'être toutes dues à sa politique d'extrême-droite, il n'y a pas dans ce récit que création romanesque...
La corruption, contrairement au fric, ça ruisselle vraiment du haut vers le bas...

Unité 8200 vous entraîne au cœur du renseignement israélien, entre Tel-Haviv et Paris, dans une traque époustouflante, dramatique et drôle. Un grand polar !


Notice bio

Né en 1961, Dov Alfon a grandi entre la France et Israël. Ancien officier des services de renseignement israéliens, il a été grand reporter, responsable des enquêtes puis rédacteur en chef d’Haaretz. Son premier roman, Unité 8200 (Liana Levi, avril 2019) est resté en tête des ventes en Israël en 2016 et 2017. Les droits de traduction ont été vendus dans douze pays, et les droits télévisuels achetés par Keshet, les producteurs d’Hatufim (la série israélienne qui a inspiré Homeland). Dov Alfon vit aujourd’hui à Paris où il est le correspondant d’Haaretz.


UNITÉ 8200 – Dov Alfon – Éditions Liana Levi – 385 p. avril 2019
Traduit de l'anglais par Françoise Bouillot

photo : Pixabay

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