Chronique Livre :
Viscères de Mo Hayder

Publié par Psycho-Pat le 25/01/2015
photo : loup - titre original de Viscères : Wolf (Wikipédia)
L'extrait
« Personne ne parle. Ils sentent tous l'odeur de pourriture. Pendant le peu de temps que les Anchor-Ferrers ont passé dans la maison, les boyaux ont commencé à puer. Le fascia blanc s'étire autour des sacs roses bulbeux, et le dernier repas pris par l'être, humain ou animal, dont ces intestins proviennent dessine des formes sombres derrière la paroi à demi transparente.
- Dément, lâche Honey, manifestement embarrassé. Complètement dément.
Il extrait un mouchoir de sa poche et s'essuie le visage.
- Il fait chaud, aujourd'hui, non ? Reprend il. Pour la saison. »
Le pitch
Oliver et Matilda Anchor-Ferrers, accompagnés de leur fille Lucia et de leur chienne Ourse, viennent d'arriver aux Tourelles, leur maison de campagne. Oliver doit se reposer, il vient de subir une greffe de valves cardiaques. Le parc de cette résidence a été le théâtre d'un crime atroce quinze ans plus tôt. L'ex petit-ami de Lucia et sa nouvelle copine y ont été massacrés, leurs intestins accrochés dans un arbre pour y figurer un cœur. Le criminel qui a avoué est en prison.
Un tableau presque aussi horrible est découvert par Matilda dans le jardin et l'angoisse remonte en flèche, d'autant que le téléphone ne fonctionne plus...et que deux drôles de policiers, Honey et Mr Molina, surgissent et ne font rien pour les rassurer, bien au contraire !
Le commissaire Jack Caffery, mal dans sa peau, est toujours tourmenté par la disparition de son frère des dizaines d'années plus tôt. Celui-ci a été victime d'un réseau pédophile dont pratiquement tous les membres sont décédés. La vérité sur le sort de Ewan semble de plus en plus inaccessible sauf, peut-être une infime piste, une très vague lueur aussi attirante et dangereuse qu'une ampoule à incandescence pour un papillon de nuit...
Caffery et les Anchor-Ferrers ne fréquentent pas la même planète, ils ne frémissent pas aux mêmes angoisses et, pourtant, la plus étique des lumière va néanmoins les intégrer dans une même histoire tapissée d'angoisse, de faux-semblants et d'horreur, peinte aux couleurs d'une vérité étouffante.
L'avis de Quatre Sans Quatre
Le paradoxe de la lumière qui nous plonge dans les ténèbres!
Fétiches, son désormais avant-dernier roman, montrait déjà un retour à la puissance narratrice et à la virtuosité de Mo Hayder. Viscères atteint des sommets ! La montée de l'angoisse y est constante, implacable, sinueuse et sinistre. Elle s'insinue, insecte importun dans une jambe de pantalon, reptile secret dans un sac de couchage. La peur immobilise la proie, ne lui laissant que le loisir de tourner fiévreusement la page espérant y trouver enfin quelque happy end ou, du moins, le signe d'une possible rédemption. N'y comptez pas, Mo Hayder n'est pas d'humeur.
Ou plutôt si, mais d'humeur sombre, d'une insondable noirceur même. Impossible de vous livrer le moindre indice sans dénaturer l'intense suspense, les merveilles d'intrigues de Viscères. L'auteur joue de ses personnages comme un montreur d'ombres chinoises. Celles-ci ne se définissent qu'au travers le subtil équilibre entre l'obscurité et lumière, le moindre changement dans le dosage ou l'angle de l'une ou l'autre et c'est la nature même du motif qui se transforme.
Pourtant, l'être humain, poussé par l'instinct, par la peur de l'inconnu, cherche la lumière. Il souhaite explorer ses ténèbres, au risque de s'y brûler, d'en être transfiguré à jamais...La vérité n'est pas et ne sera jamais un remède pour Mo Hayder. Au contraire ! Elle ne sera qu'un ingrédient qui redéfinira l'existence des protagonistes sans, loin de là, l'apaiser.
Osez tourner la première page et laissez toute espérance...
Mo Hayder tisse une histoire, elle ne philosophe pas sur tel ou tel être suprême ou génie du mal, l'humain lui suffit et elle y trouve largement matière à nous pétrifier. Ce qui ne l'empêche pas de livrer un ouvrage avec plusieurs niveaux de lecture, une symbolique riche et une pensée profonde du monde. Le tout servi par une écriture crue (remarquablement traduite), puissante mais sans artifice - elle ne surjoue jamais - touche juste et crucifie la moindre espérance d'évidences terribles.
Ses personnages sont des phalènes. Fascinés, ils se précipitent, comme hypnotisés, vers la flamme du savoir ou de la vengeance qui les anéantira. Du boulot remarquable, l'ensemble du récit sue l'angoisse, le machiavélisme et la maîtrise totale de l'écrivain qui sait où il va nous mener bon gré mal gré.
Un immense thriller, un modèle du genre! Un mix extraordinaire entre ses deux premiers chefs d'oeuvre, Birdman et L'Homme du soir, le talent intact, plus la virtuosité qui pose Viscères comme l'un des meilleurs polars que j'ai jamais lu. Mo Hayder, malgré quelques ouvrages moins percutants ces dernières années, est toujours une des reines de la peur et du noir, vraiment très très noir. Ne passez surtout pas à côté de cette splendeur !
Notice bio
Mo Hayder est née à Londres en 1962. Elle quitte sa famille dès 16 ans, vit de petits jobs et traîne dans les lieux branchés de la capitale anglaise. Arrivée au Japon à 26 ans, elle y est profondément déçue par la vie quasi monastique qu'elle y mène, ne sortant que pour aller travailler.
Elle arrive aux États-Unis deux ans plus tard et étudie le cinéma, son travail y est déjà jugé trop violent. Revenue en Angleterre, elle exercera comme garde du corps avant de se consacrer à l'écriture. Comme Burgess, elle est profondément marquée par les violences subies par plusieurs de ses proches et ces traumatismes servent de terreau à son écriture.
Ses deux premiers romans, Birdman (2000) et L'Homme du soir (2002) la propulsent directement au top des auteurs de polars et installent le commissaire Jack Caffery dans le gotha des personnages du genre. Puis vient en 2005 Tokyo, sans Caffery, mais un chef d'oeuvre qui lui vaudra le Prix SNCF du Polar 2005 et le Grand Prix des lectrices de Elle 2006. Viscères est son dixième roman.
La musique du livre
Fait assez exceptionnel chez Mo Hayder, il y a des titres et des musiciens identifiables dans Viscères, un très grand polar et des morceaux, que demander de mieux ?
Mrs Robinson, la BO du film Le Lauréat, par Simon and Garfunkel que sifflote le vil Honey, London Calling, ensuite, des Clash qui vient en tête de Jack Caffery lorsqu'il est obligé de se rendre à Londres pour son enquête.
Mr Molina a le même sourire que Mick Jagger sur Sympathy for the Devil et une fin en beauté avec Marylin Manson, Deep Six, une des idoles de Lucia...
Viscères – Mo Hayder – Presse de la Cité – 441 p. janvier 2015
Traduit de l'anglais par Jacques Martinache