Chronique Livre :
Voici le temps des assassins de Gilles Verdet

Publié par Psycho-Pat le 01/03/2015
photo : Commune de Paris - Barricade angle des boulevards Voltaire et Richard-Lenoir (Wikipédia)
L'extrait
« Je supportais ses sarcasmes sans réagir. Je savais qu'ils étaient pudiques et amicaux. Presque autant que les compresses qu'elle passait avec une délicatesse d'infirmière bénévole sur mes joues contusionnées. Et mes pommettes douloureuses. Je m'étais assis dans la cuisine. Pendant toute la séance son con de chien m'a fixé avec des yeux d'ahuri. Je lui aurais bien refilé un coup de pied, comme ça, pour calmer ma colère. D'autant que j'étais sûr qu'il aurait rien dit. Comme tout le monde, je savais bien que ces bêtes-là étaient, elles, génétiquement programmées pour supporter les roustes et les vexations. Justifiées ou pas. J'avais bien envie de profiter de cette prédisposition atavique. Je l'ai pas fait. Ça aurait gâté l'ambiance. »
Le pitch
Un casse de bijouterie qui tourne mal, ça arrive. Mais que ce soit deux rombières en niqab chuchotant un vers de Rimbaud qui dessoudent sans préavis l'un des participants, c'est plus rare tout de même ! Pourtant Paul, photographe et braqueur amateur, ahuri, voit bien son pote et complice Robin prendre un pruneau dans le casque alors que le casse s'était déroulé sans incident...jusqu'à l'arrivée inopinée des princesses saoudiennes.
Au même moment, une femme, hospitalisée en psychiatrie, s'immole en psalmodiant des stances du même Arthur. Puis tout s'enchaîne. Un à un, les copains de toujours de Paul, ceux qu'ils côtoient encore chaque jour et ceux qui sont partis ailleurs sur des chemins de vie différents, meurent assassinés, surinés, empoisonnés, découpés, tous accompagnés de poèmes de Rimbaud ou de Verlaine, comme un avant-goût des vers à venir avec le trépas...
Paul va devoir remonter son passé, celui du temps de l'anarchie de jeunesse, intolérante et totale, aux anathèmes absolus. Il apprendra à jongler entre sa propre histoire, celle de la terrible semaine sanglante de la Commune de Paris, le temps des Galliffet et des Thiers, des bourgeois revanchards, massacreurs du peuple et les événements qui le frappent lui et son entourage.
L'avis de Quatre Sans Quatre
« Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie. » (Arthur Rimbaud)
Des berges de la Seine roulant l'Histoire agitée de Paris aux rives de L'Ij moscovite, ce polar à facettes nous emmène sur les chemins de la mémoire sans négliger le suspense, l'action et, surtout, la qualité littéraire. Le style est éblouissant, le vocabulaire d'une richesse rare, une langue vivante, poétique qui sent le trottoir, la ruelle sombre, la nuit des âmes et la vie des hommes.
Réussir le défi d'amener le lecteur de noir à se passionner pour les aventures de Rimbaud, Verlaine, le club des Vilains Bonhommes et la semaine sanglante de la Commune n'était pas évident. C'était même un peu une gageure. Et pourtant ! Quelle roman ! Captivant de la première à la dernière page, savant, édifiant, documenté et tellement bien raconté ! Une intrigue aux ramifications et rebondissements dignes des très grands romans policiers. Gilles Verdet signe ici, à n'en pas douter, un des très grands polars de cette année.
Des personnages taillés sur mesure vivent, meurent, se battent, se passionnent, fuient, aiment sans avenir, s'engluent sur la toile arachnéenne des vers de l'homme à semelle de vent. Il faut solder les comptes du passé comme les communards ont payé cash, en flots de sang, leur insoumission, la facture de l'utopie est d'autant plus lourde que celle-ci fût sans limite. Paul, alcoolique, toujours en projets jamais accomplis, seul, voit disparaître un par un ses amis comme si sa propre vie s'effaçait au fur et à mesure, comme un souvenir qui s'estompe malgré tous les efforts mémoriels, il va être contraint d'explorer les recoins obscurs de son passé, ces épisodes peu glorieux qui tout humain abritent et qu'il évite avec soin.
Une œuvre à part dans le polar. Riche, puissante, à la forme et au fond construits solidement à une culture pointue et un art consommé de l'écriture et des hommes.
Merci Gilles Verdet de nous rappeler encore une fois que, décidément, Non, la Commune n'est pas morte !
Notice bio
Gilles Verdet est né le 21 juillet 1952 à Ménilmontant et a vécu une partie de son enfance dans la banlieue nord. Des études classiques chez les bons pères oratoriens ont favorisé son penchant naturel pour l’hédonisme. Père de famille à vingt ans, rêveur mais volontaire, il est rentré très tôt dans la vie active et a exercé nombres d’activités diverses – brancardier, disquaire, photographe, marchant de bière et whisky, dialoguiste pour la télé, co-auteur de documentaire… – avant de se consacrer pleinement à l’écriture. Il a publié il y a quelques années Une arrière-saison en enfer à la Série Noire Gallimard, Larmes Blanches chez Buchet Chastel et La Sieste des hippocampes aux Éditions du Rocher. Il vit, dort et écrit désormais au-dessus du périphérique parisien, le cerceau noir de sa poésie urbaine…(une fois de plus sournoisement piquée au site de Jigal Polar ;-)
La musique du livre
Une chanson historique pour commencer, Non, elle n'est pas morte (La Commune, évidemment), susurrée par l'assassin qui tente de poignarder Paul. Du jazz ensuite, Art Pepper, Groovin' High, cité au milieu de multiples autres Art célèbres, et il est beaucoup question de saxophone dans cette histoire.
Et Le bateau ivre par Philippe Léotard parce qu'il n'était pas possible de parler de la musique de ce livre sans y glisser quelques vers de Arthur et que Léotard convient parfaitement au ton de ce drame.
Voici le temps des assassins – Gilles Verdet – Jigal Polar – 231 p. février 2015