Chronique Livre :
Vongozero par Yana Vagner

Publié par Psycho-Pat le 28/12/2014
Photo : L'hiver russe à Chatoura dans la région de Moscou (Wikilinks)
L'extrait
« Nous commençâmes à avoir vraiment peur le jour où on annonça que le métro était fermé. Tout se délita alors presque en même temps, comme si on avait soudain tiré des rideaux opaques, et l'information déferla sur nous en un torrent bouillonnant, nous laissant tout à coup horrifiés de nous en être tirés à si bon compte : quatre cent mille malades... »
Le pitch
Un virus, sorte de mix entre Ébola et la grippe commence à faire des ravages à Moscou. La ville est bientôt bouclée et les habitants apprennent par les différents canaux de communication que la situation est également critique à travers toute la planète.
Une jeune femme, Anna, vit en banlieue avec son mari Sergueï et son fils Micha. Son beau-père, Boris, vient les presser de partir avant que les vagues d'affamés, de malades et de fuyards mal intentionnés ne les submergent. Ils choisissent pour but Vongozero, un lointain lac à la frontière de la Russie et de la Finlande et partent accompagnés de voisins et - c'est moins facile à accepter pour Anna - de l'ex femme de Sergueï et de leur fils Anton.
La troupe s'étoffe, chemin faisant, d'amis rencontrés sur les routes verglacées. Le danger est omniprésent, augmenté par le froid glacial et la neige qui tombe en abondance. Il va falloir se nourrir, ne jamais baisser sa garde, trouver du carburant – une tâche particulièrement délicate – et, surtout, apprendre à survivre ensemble sans le minimum d'intimité et sous la pression constante du groupe qui se délite au moindre incident.
Une tension psychologique extrême, des conditions météorologiques dantesques, la méfiance vont user les âmes les plus fortes et mettre à rude épreuve toute la troupe qui va tenter malgré tout d'atteindre le lac Vongozero entre les congères, les bandits, les malades et la pénurie d'essence...
L'avis de Quatre Sans Quatre
Vongozero est un magnifique roman d'aventure, une odyssée incroyable qui tient de la retraite de Russie et du road-movie apocalyptique et glacial. Un dénuement extrême face aux éléments et le délitement de la société pousseront les protagonistes dans leurs derniers retranchements, les ultimes frontières de ce qu'ils pourront supporter sans sombrer dans la folie.
Le carburant ou, plutôt, la peur terrible de tomber en panne sèche en plein blizzard, sert de fil rouge à l'angoisse et réveille toutes les peurs, catalyse les tensions. Entre cette obsession du ravitaillement et la peur de la contagion, Anna change doucement, son voyage intérieur semble suivre imperceptiblement le périple du petit convoi. Ce subtil basculement est habilement inséré dans un récit qui évite le piège de l'accumulation de catastrophes, la situation se suffisant pratiquement à elle-même pour rendre cette saga passionnante.
La mort peut venir de toute part, aussi bien des ornières du chemin, d'une contamination dans les villes et villages traversés que de l'intérieur du groupe où les valeurs éthiques ont bien du mal à tenir face à l'anxiété absolue. Le repos n'est qu'illusoire et volé ici ou là sans apporté de regain d'énergie, même le sommeil continue le travail de sape des journées anxyogènes.
Yana Vagner tisse avec patience la toile de son roman, sans coup de théâtre facile ou méchant de pacotille. La puissance évocatrice de sa plume décrivant les conditions de la fuite, tient en haleine, la description des paysages mythiques de l'hiver russe qui fit tomber tant d'empires, de la dislocation de la civilisation et des conflits intérieurs de Anna, perdue dans un monde et une vie qu'elle ne reconnaît pas, sont à eux-seuls une intrigue à part entière.
Ce livre est un monde, séduisant, magnifiquement traduit, il se lit d'une traite malgré l'épaisseur parce qu'il est impossible d'abandonner ses héros à leur sort. Difficilement étiquetable, et peu importe, il a le souffle des grandes épopée et le regard intérieur des plus belles introspections. Roman noir certes, mais avec tout ce qu'il faut de gris pour rester prosaïquement humain.
N'hésitez pas à monter dans le convoi surchargé de Vongozero, inconfortable, émouvant, effrayant, un grand bouquin sur l'hiver de la civilisation et des âmes.
Notice bio
Yana Vagner, née en 1973, a grandi au sein d'une famille russo-tchèque. Elle a travaillé comme interprète, animatrice radio et responsable logistique. Vongozero est son premier roman, il a été nominé au Prix National Bestseller et traduit dans 5 pays.
La musique du livre
Un seul titre, mais quel morceau de choix ! Le Ne me quitte pas de Jacques Brel interprété par Nina Simone qui est encore dans le lecteur CD de sa voiture, les autres disques étant inaccessibles puisque son mari a installé la CB en les coinçant dessous.
Quelques chansons russes également, pas identifiables, chantées pour se redonner du courage...
Vongozero – Yana Vagner – Mirobole éditions – 470 p. septembre 2014
Traduit du russe par Raphaëlle Pache