Chronique livres :
Un long moment de silence de Paul Colize

Publié par Psycho-Pat le 02/06/2014
photo : entrée d'Auschwitz - 27 janvier 1945
"Il faut parfois attendre de longues années pour recevoir une réponse" Nathan Katz
Après l'excellente surprise de Back Up, j'ai eu envie de tenter un autre ouvrage de Paul Colize pour confirmer ou non la très bonne impression laissée par cette histoire bien noire se déroulant au tout début du rock en Europe.
Je me suis plongé dans Un long moment de silence sans autre a priori que la toujours présente petite peur d'une déception après un aussi gros coup de cœur.
Que nenni ! Confirmation totale du talent de cet auteur belge qui sait conter une affaire emberlificotée comme peu d'autres et qui ne laisse pas un moment de répit à son lecteur.
La vengeance en est le thème principal, la rancœur, la colère pas toujours légitime, mal maîtrisée ou se trompant d'objet, aussi puissant qu'Après la guerre de Hervé Le Corre, proche de celui-ci dans le sujet, Un long Moment de silence fouille les sombres traces laissées par la Shoah, la rage d'un enfant ne comprenant pas la disparition brutale de son père, l'âme humaine et ses tourments. Si la vérité ne fait pas toujours de bien, le mensonge n'arrange jamais rien sur le long terme.
Le pitch
De nos jours, Bruxelles : Stanislas Kervyn est un connard de compétition, un sale type qu'on aime détester et qui aime être un salaud à qui on ne la fait pas. Il est dirigeant d'une société de sécurité informatique, père d'un fils qu'il ne voit jamais parce qu'il en a abandonné la charge à son frère qui vit en Afrique.
Il a perdu son père alors qu'il était âgé d'à peine un an en 1954, tué au Caire par un groupe terroriste dont personne ne sait rien, même pas l'objet de l'attentat. Stanislas se sert des autres et n'investit jamais le moindre sentiment en retour. Les femmes sont baisables - « je les baise pour soigner le mal qui me ronge » - ou pas et, dans ce cas, sans intérêt, les employés de sa société, corvéables à merci ou virés. Il vient de publier un livre au bout de vingt ans de recherche sur le meurtre de son père.
Lors d'une émission de promo télé pour son bouquin, un mystérieux interlocuteur essaie de le joindre au téléphone pour lui donner des informations qui remettent en cause l'ensemble de ce qu'il croyait savoir sur la tuerie du Caire.
1948, New-York : Nathan Katz, jeune juif d'Europe de l'est, est un rescapé des camps nazis où il a vu mourir toute sa famille à l'exception de son père. Très intelligent, il s'intègre parfaitement à la vie américaine et entre au Brooklyn College.
Il y est recruté par une société secrète juive, appelée comme par hasard Le Chat (katze en allemand), qui est déterminée à juger elle-même et punir les criminels de guerre encore en liberté.
Les destins de ces deux hommes vont se croiser inévitablement parce qu'un pharmacien prénommé Wladyslaw ouvrit une officine pharmaceutique en 1920 à Lwow (Pologne), la localisation de cette boutique déclencha le fameux battement d'aile de papillon au pouvoir destructeur...
L'avis de Quatre Sans Quatre
Paul Colize a magnifiquement mené son affaire, l'enquête trépidante de Stanislas alterne finement avec l'histoire plus ancienne de Nathan, sans briser le rythme, sans que l'on ait envie de sauter un passage tant les deux récits sont puissants et captivants.
La vie de Stanislas est un chemin de croix, il est à bout, il malmène, il méprise, insulte mais il est impossible de ne pas éprouver d'empathie pour cet antihéros puéril qui ne trouvera la paix qu'avec une vérité qui lui a été volée tellement longtemps.
Nathan, de son côté, est tout aussi tabassé par la vie mais gère plus efficacement sa haine, il a trouvé un exutoire dans sa croisade. Un exercice bien difficile auquel s'est livré l'auteur, nous tenir en haleine tout au long du bouquin sur deux histoire aussi différentes, un ton pour chaque, une écriture pour chaque et, pourtant un roman d'une belle unité. Pas de manichéisme, pas de sensiblerie, chacun sa part d'ombre, de vrais personnages, magnifiés par les circonstances mais tragiquement humains.
Comme dans Back Up, c'est le grain de sable, un hasard malencontreux qui a grippé le destin de ces hommes et femmes et, comme dans Back Up, le talent de Paul Colize fait le reste, c'est à dire l'essentiel. Surtout qu'il n'est pas qu'un deus ex machina dans ce récit, il faut lire la postface - après le reste bien entendu - pour comprendre à quel point ce roman est personnel. Un très grand livre à ne pas rater !
Notice bio
Paul Colize est né en 1953 à Bruxelles. Il est consultant en management et organisation. Son premier roman, Les Sanglots Longs est paru en 2000. Il est l'auteur d'une dizaine de romans et de nombreux recueils tous très documentés. Il vit à Waterloo.
La musique du livre
Contrairement à Back Up, peu de titres dans ce roman mais le sujet ne s'y prête pas vraiment non plus.
Un superbe Yiddishe Mamme joué par Simon, un ami de Nathan, au cours d'une soirée où ils ont évoqué leurs familles anéanties par les camps et un Joe le Taxi que la femme de Stanislas fredonna lors d'une sortie en famille il y a des années.
Un long moment de silence – Paul Colize – La manufacture de livres – 470 p. juillet 2013