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Chronique Livres :
Un Mort de Trop de Alexandra Appers

Chronique Livres : Un Mort de Trop de Alexandra Appers sur Quatre Sans Quatre

« De l'émotion je vais vous en donner mais ça risque de faire un peu mal. » (Alexandra Appers)

Je ne sais pas ce qu'a mangé la nouvelle génération d'auteures de thrillers françaises mais ça cogne lourd et sévère cette année! Après l'excellent Reflex de Maud Mayeras, voici le tout aussi remarquable Un Mort de Trop de Alexandra Appers.

Ce n'est pas une plainte, des romans pareils, j'en veux bien tous les jours, elles vous transforment un paisible bourg en Tijuana à la sauce Kent Harrington en deux chapitres et mettent les sombres recoins des âmes en exposition comme rarement. Dommage que les abrutis croyant que les gonzesses ne pensent qu'au shopping et autres futilités ne sachent pas lire, y aurait plus à argumenter...


Le pitch

Otis est le Canada Dry du psychopathe, la couleur mais pas le goût, l'initiation mais l'empathie en trop.

Otis est un charmant garçon de vingt cinq ans, ainsi prénommé parce qu'il fut conçu sur la musique d'Otis Redding. Il vit à Saint-Amand-La-Givray, petit bourg enclavé par les montagnes, avec sa mère et sa sœur.

Son père s'est carapaté avec une jeunesse, laissant Otis pour seul héritage ainsi qu'un troquet couvert de dettes qu'ils s'éreintent à faire vivre, L'Indiana. La sœur plus jeune est issue d'une des nombreuses et brèves passades de sa mère avec un des routiers qui font souvent étape au bistro.

Otis veut tatouer! C'est son vice, son Graal, la seule porte de sortie qu'il perçoit sur autre chose que le défilé des pochtrons du village. Il suit, pour y parvenir, le chemin ardu de tout serial-killer qui se respecte, il commence à se faire la main, en secret, sur les animaux du voisinage avant de passer à l'homme, et débute sur le plus facile à convaincre, son pote neuneu, Marvin.

Il est également fou d'amour, fantasmatique, pour Ella, beauté locale peu farouche avec les cow-boys de passage. Le soir de son anniversaire, Otis picole, se transforme en Otis Raide-dingue et provoque une rixe au cours de laquelle Ella s'effondre la tête sur le trottoir. Lui ne se souvient de rien. Sa mère et Marvin ont caché le corps dans la cave au milieu des caisses de Kro et des bouteilles de pinard.

Plus qu'une famille, ils sont désormais complices, d'autant que la sœur d'Otis est enceinte et qu'il va falloir se serrer les coudes ...


L'avis de Quatre Sans Quatre

Sortez les cuirs, la gomina, changez les cordes et faites chauffer les Marshalls à lampes!

Un Mort de Trop secoue fort le cocotier sans verser dans le tsunami d'hémoglobine ou le virtuose du crime! Une écriture redoutable pour disséquer une famille pas si extraordinaire mais qui concentre les défauts de tant d'autres que nous connaissons et croisons tous les jours.

Haletante parfois, tant l'urgence de sortir tout le pus accumulé dans cette enclave de paumés se fait pressante. Cruelle, juste et précise pour les travers et drôleries de l'humanité imbibée qui sacrifie tous les jours son foie au bar de L'Indiana. Une offrande aux Dieux pervers de Saint-Amand-La-Givray – portant si bien son nom - tribu rurale bordée de montagnes/murs, camp de prisonniers d'un temps immobile à en devenir mortel.

Alexandra Appers n'est pas là pour faire dans la dentelle, ni pour prendre le thé avec les petits gâteaux idoines. Son roman rocke et rolle furieusement, par tous les pores et sur tous les tons, dans cette histoire de dingues aux accents quasi céliniens quand elle décrit le peuple du bistro, sosies d'Elvis pathétiques, cirrhotiques, routiers beaufs ou bikers d'opérette.

Des dialogues dignes d'Audiard, des images d’Épinal du langage populaire, qui touchent en plein cœur, qui attaquent directement la cible par rafales de réparties saignantes et définitives.

L'œil collé au microscope, l'auteure dissèque patiemment le biotope et le décrit d'une langue riche en images et sons variés, en sentiments confus, en non-dits terrifiants Elle réussit l'exploit de faire la Une avec un chien écrasé, elle hisse la trivialité au niveau des beaux-arts grâce à ce petit plus, cette pépite rare - un style exceptionnel - bien à elle, qui rayonne sur l'ensemble du livre. Elle a chopé le beat des péquenots du coin et envoie ses mots, à l'élégance féroce, rythmer les scènes, animer les anti-héros, patauger dans la petite ignominie et en sortir la tête haute, le devoir accompli.

Chaque tête de chapitre s'orne d'un titre, très évocateur, de chanson ou de film. Un Mort de Trop ne vient pas d'une autre planète mais de la nôtre, nourri de la culture rock, de la société des images animées qui font rêver d'un ailleurs meilleur, ou pire, mais toujours potentiellement plus excitant et riche de promesses que le cloaque où l'on croupi, noyé dans les effluves délétère d'un passé qui ne lâche jamais l'affaire, d'un futur peint aux couleurs délavées d'un présent fait de vaines attentes, d'un grand soir éternellement absent et d'aubes pâles aux relents de gueule de bois...

Au fait, je vous ai dit que j'aimais ce bouquin ?


La notice bio

Née en 1974, Alexandra Appers vit à Orléans, sa ville natale. Elle s'y nourrit de rock, de littérature anglo-saxonne et de cinéma . C'est la bio officielle mais elle doit bien se taper un jambon-beurre de temps en temps quand même...Un Mort de Trop est son premier roman.


Le teaser

Court mais édifiant ;-)


La musique du livre

Un tout petit échantillon de la bande originale, les références et les titres se bousculent tout au long du livre. Il a fallu en choisir quatre mais tous les morceaux auraient pu y figurer, il y a de quoi créer une playlist exceptionnelle entre les titres des chapitres, ce qu'écoutent les protagonistes et ce que diffusent les radios...

Un Mort de Trop – Alexandra Appers – Éditions Ring – 263 p. mai 2014

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