Quatre Sans Quatre

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Interview :
Alexandra Appers

Interview : Alexandra Appers sur Quatre Sans Quatre

"Si vous croyez qu'on ressort de chez un tatoueur sans qu'il y ait des conséquences, vous vous gourrez." (Alexandra Appers) 


Alexandra Appers vient de publier Un Mort de Trop aux Éditions RING, un de ces thrillers qui marquent. Il nous tatoue les neurones à la manière de Otis, le héros de cette histoire bien noire. Des coups de boule pareils laissent des cicatrices, des frémissements à penser que la banalité même peut être redoutable. Hamlet n'est pas le seul à devoir vivre avec un fantôme, point n'est besoin d'être Prince du Danemark pour être hanté. L'anniversaire d'un tatoueur imbibé fait l'affaire, pour peu qu'il ait une mère à la hauteur et l'entourage qui va avec...

La vie, un rien et ça dérape, ça glisse, ça part en sucette.

Fi des jerrycans d'hémoglobine, de plans machiavéliques, de supplices bien gores, de keufs sur les dents. Une bande de péquenots, la suggestion, l'idée même de l'horrible possible bien distillée et le tour est joué. D'accord, il faut avoir le talent et, surtout, le style, de Alexandra Appers pour, et, là, ça cogne...et c'est bourré d'humour, noir, évidemment et de dialogues surréalistes.

Merci à Alexandra Appers d'avoir pris le temps de répondre à quelques unes de vingt-cinq mille questions qui me sont venues à l'esprit au cours de la lecture de ce livre superbe et un coup de chapeau à Ring pour sa ligne éditoriale !


D'où vous est donc venue cette bande de déjanté(e)s? Il y a des comparaisons avec Psychose mais je ne les trouve pas satisfaisantes, c'est une toute autre histoire avec bien plus de personnages impliqués...

Des bouquins de Bukowski, du cinéma de Lynch ou d'Almodovar. Je voulais écrire un huis-clos sans que ça ressemble à une garde à vue avec une victime face à une machine à questions ou à des conversations de deux naufragés dans le clapotis de l'eau. La solitude et le désœuvrement prennent une saveur particulière lorsque l'entourage foisonne. Je voulais du bruit, du mouvement, condamner les personnages à avoir une vie sociale. Ils ne sont pas seulement hantés par le passé mais également par ce présent qui les rend dingues. Les personnages secondaires ne sont pas des porte-gobelets. Ils dérangent, apportent un éclairage et donnent de la pulpe à l'histoire. Ils ont un corps et des émotions, ils sont des extensions des protagonistes. Des matérialisations de leur folie ou de leurs doutes. En disant ça, je pense à la série Twin Peaks, Lynch fait ça très bien par exemple.


Les nombreux titres de soul, blues, rock du livre, c'est votre musique ou celle du récit?

Ce sont effectivement des échantillons de ce que j'écoute mais avant tout la musique qui collait à la peau du récit. Du feu et du sucre à la fois. Un mort de trop, ce n'était ni de la salsa, ni du Chopin ni de la new wave. Le rock et la soul étaient les meilleurs carburants pour faire avancer l'histoire et faire bouger mes personnages sur la piste.


Il y a la musique et le cinéma, présents partout dans Un Mort de Trop, mais on y verrait bien aussi des personnages des BD de Frank Margerin. Et côté romans noirs, vous avez des incontournables, des auteurs qui ont compté ?

John Fante pour sa liberté de ton. Il semble à la fois au fond du trou et maître à bord. Sa lucidité c'est sa bouée mais aussi sa croix. Et le langage parlé devient poésie absolue. Il y a aussi Bret Easton Ellis et ses personnages très jeunes et las de tout. Leur impression d'avoir fait le tour de la vie, que le cœur des gens est un désert aussi sec qu'un biscuit, qu'il n'y a plus de lait dans les pis. Et puis Philip Kerr pour son écriture baraquée, sans fioritures. Tellement solide et prenante.


En fait, personne n'a trop le choix à Saint-Amand-La-Givray, tout concourt à ce que rien ne bouge, la force du destin est insurmontable?

Dans l'absolu elle ne l'est pas (ou alors autant se flinguer tout de suite).

Et la vie n'aime pas le vide. Un nouvel élément, même précaire, vient toujours remplacer celui qui manque à l'appel. C'est un équilibre naturel. La vie nous rattrape toujours par le col, d'une manière ou d'une autre. Et hop, shoot again, same player. Dans ce roman, les personnages se croient vaincus ou font semblant de croire en un ailleurs. Otis a une mère qui le mange. Rien ne peut tourner rond pour lui. Il a l'espoir de la jeunesse mais avance dans la vie comme un canard auquel on aurait coupé la tête. Sachant que, d'une manière générale, changer de vie reste un tour de force. Pour n'importe qui.


Les personnages de femmes sont les plus forts, plus dans le contrôle de la situation que les mecs qui sont soit paumés, soit alcoolos, soit débiles, voire les trois et qui ne pensent qu'à fuir. C'est un constat?

On a tous connu des femmes seules qui prenaient des postures de mecs pour jouer les chefs alors qu'elles étaient totalement fissurées à l'intérieur, et observé des hommes nigauds, adeptes de la tête dans le sable et de la fuite en avant. Mais ce n'est pas une généralité, heureusement. Les femmes de ce roman sont obligées de montrer les biceps comme un ultime rempart pour ne pas se faire bouffer entièrement. Mais les choses se cachent tellement mal. Un rien peut bousiller un masque. Ils sont toujours mal accrochés. C'est ce qui m'intéressait le plus dans leur psychologie.


Vous reprenez tous les codes définissant l'évolution d'un psychopathe en ce qui concerne Otis, des animaux domestiques à la domination quand il tatoue. C'est un serial-killer raté?

Ce qui m'interpelle c'est la colère contenue. Ce qu'on en fait ou ce qu'elle fait de nous. Comment elle circule librement dans notre sang ou prend le contrôle de notre tête. Pour la plupart, on la canalise dans le travail, le sport ou n'importe quoi d'autre parce que finalement, c'est une dose supportable. Pour d'autres gens c'est plus compliqué : au-delà d'une certaine mesure, elle remplace le sang et gère le reste. Otis possède tout le matériel requis pour être un tueur en série. On peut même dire qu'il ne fait que débuter dans la carrière...


Aretha, la grand-mère, semble la seule à même de dénouer la situation, à avoir un avis « raisonnable ». Même si c'est une chieuse, on vous sent attachée à ce personnage, c'est le cas?

Elle arrive assez tardivement dans le roman. La grand-mère pouvait représenter la sagesse, la raison et au lieu de ça, elle frime avec tous ses secrets qu'elle menace de délivrer et en garde une bonne partie entre les dents. Elle pourrait tout chapeauter, remettre les siens sur des rails ou tout précipiter dans le ravin, allez savoir. On dirait un fantôme qui vient en remettre une couche sur le bordel déjà bien avancé. Elle contemple son œuvre ou la dénigre parfois. C'est une matrice vérolée mais une matrice quand même. Je l'aime beaucoup, oui.


Y aura t'il un prochain roman? Déjà en route peut-être?

J'en suis au stade des idées jetées sur feuille. Des titres potentiels qui me paraissent géniaux le soir et bons pour la poubelle le lendemain matin. Des morceaux de phrases, de vagues gribouillages qui prendront pourtant forme humaine un de ces quatre


La musique de l'interview

Comme il est beaucoup question de musique, voici deux titres choisis par Alexandra Appers qui serviront de générique de fin sympa à ce bel entretien!

Un Mort de Trop – Alexandra Appers – Éditions Ring – 263 p. mai 2014

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