Chronique livre :
L'homme qui a vu l'homme de Marin Ledun, magistral polar atypique et politique

Publié par Patrick le 21/02/2014
Marin Ledun s'attaque dans ce polar aux magouilles peu reluisantes des polices et barbouzes françaises et espagnoles et au vécu des populations qui en sont victimes au pays basque.
En démocratie, les citoyens délèguent à l'état, au travers de la police et de l'armée, le pouvoir d'exercer une violence encadrée par la loi et le pouvoir judiciaire pour assurer leur sécurité.
C'est une des bases de la civilisation, discutable, certes, mais communément admise. Que se passe t'il lorsque ceux qui sont habilités à exercer cette violence sous-traitent les basses besognes occultes à des hors-la-loi ?
Quel repères restent ils à la société quand ceux qui doivent protéger couvrent ceux qui nuisent gravement aux personnes qu'ils sont censés défendre avec les arguments, toujours fumeux, de la raison d'état et de la lutte contre le terrorisme ?
La soi-disant coopération européenne en matière de police sert elle aussi à cacher des opérations inavouables des états français et espagnols? C'est un des grands thèmes de ce roman qui comporte bien d'autres facettes toutes aussi passionnantes.
Le pitch
Juste après le passage de la tempête Klaus en janvier 2009, un ex militant de l'ETA, Joskin Sasco, sorti depuis peu des prisons espagnoles, disparaît en se rendant à un rendez-vous professionnel. Iban Urtiz, jeune journaliste local, basque par son père mais n'ayant pas vécu au pays, commence à enquêter autour des rumeurs et des alarmes lancées par la famille du disparu.
Il se rend vite compte que ce n'est pas un cas isolé et traque la vérité aux détours de toutes les manipulations qu'elles soient policières ou des militants autonomistes avec l'aide d'un de ses confrère et de la sœur de la victime Eztia. D'un simple reportage sur la conférence de presse de la famille du kidnappé, l'affaire devient vite beaucoup plus personnelle pour lui et se transforme en un parcours initiatique dans les arcanes du combat souterrain aux réalités peu ragoûtantes.
L'avis de Quatre Sans Quatre
Ce livre est une des très bonnes surprises de ce début d'année. Remarquablement écrit dans un style parfois proche du reportage, il pose de vraies questions sur ce qui est admissible en matière de lutte contre le terrorisme et ce qui est totalement indéfendable, sur les barbouzes utilisés dans tous les conflits similaires sans pour autant négliger l'histoire personnelle du héros qui va être confronté à des racines qu'il n'a jamais explorer et un monde qu'il ne soupçonne pas.
Pressé par tous de « choisir son camp », surnommé « erdaldun », celui qui ne parle pas basque, par son collègue, Iban va devoir s'imprégner rapidement des réalités du pays, des relations complexes entre les médias et les différentes factions et repérer les mensonges qui lui sont servis par tous. Il va aussi falloir qu'il découvre ce qui le pousse à s'intéresser contre l'avis de tous à cette enquête, ce qui résonne en lui de ces histoires qui ne sont pas les siennes ?
Marin Ledun réussit le tour de force de nous perdre en même temps que son personnage alors que nous connaissions les faits depuis le début, c'est le chemin qui est important et il est rudement bien balisé sans tomber dans le manichéisme facile et débile qui affadirait le propos! Les chapitres mêlent habilement les points de vues et errements des principaux protagonistes, chacun son style et ses motivations, le livre passe sans interruption du particulier au général, du héros aux salauds sans perdre une seconde de son intérêt.
Un bouquin à part d'une grande qualité littéraire qui ne sacrifie pas l'efficacité du suspense aux différents sujets évoqués en profondeur !
Notice bio
Marin Ledun est né en 1975. Il est docteur en sciences de l’information et de la communication et a été chercheur à France Télécom de 2000 à 2007.
Auteur de nombreux romans et essais, il a reçu, entre autres, le Prix Mystère de la Critique en 2011 pour La guerre des vanités (Gallimard – Série noire) et Grand Prix du roman noir du Festival de Beaune, toujours en 2011 pour Les visages écrasés (Le Seuil - Romans noirs). Il est aussi l’auteur de plusieurs pièces radiophoniques pour France Culture.
La musique du livre
Celle d'Iban Urtiz, évidemment, et il est fan de Guns N'Roses apparemment...
L'homme qui a vu l'homme - Marin Ledun - Ombres Noires - 463 p. - janvier 2014