Les interviews de Romans en Jeune et Noir :
La traductrice

Publié par Rodolphe et Poulet le 07/04/2016
Photo : Flore Delain
À la découverte des métiers du livre : Traductrice
Interview de Céline Romand-Monnier, traductrice de norvégien.
Cette fois-ci, toujours pour le projet Romans en Jeune et Noir, et afin d'explorer la diversité des professions liées aux livres, deux élèves de 3ème 4 – Rodolphe et Poulet:-) - du Collège Marcel Gambier, ont posé des questions à Céline Romand-Monnier qui a eu l'extrême gentillesse de bien vouloir leur répondre.
Loin de se cantonner aux livres pour la jeunesse, Céline traduit de nombreux romans noirs et polars d'auteurs norvégiens particulièrement connus. Entre autres, Jo Nesbo, Du Sang Sur la Glace ou Soleil de Nuit (Série Noire/Gallimard) ou Nicolaj Frobenius pour Branches Mortes (Actes Sud). C'est donc une grande professionnelle reconnue par les plus importantes maisons d'édition.
Cette profession de l'ombre mérite bien un coup de projecteur !
Merci à Céline Romand-Monnier de nous la faire découvrir.
Avez-vous fait des études particulières pour exercer votre métier ?
Oui et non. Oui dans la mesure où j’ai fait à la fois des études de langues (une maîtrise d’allemand) suivies d’un diplôme de traduction juridique et économique à l’école de traduction de Genève en Suisse. Mais la langue de laquelle je traduis, le norvégien, je la parle depuis que j’ai quatre ans et je ne l’ai étudiée qu’à l’école de la vie.
Quels genre de livres traduisez-vous ?
Je traduis essentiellement des romans dits généraux (sans que je sois très certaine de ce que l’expression recouvre) et des polars. J’ai traduit quelques romans jeunesse et je viens de terminer la traduction d’un recueil de poésie.
Comment les personnes vous contactent-elles pour traduire un livre ?
Par email. Souvent, il s’agit d’éditeurs avec lesquels j’ai déjà travaillé ou d’éditeurs auxquels les directeurs de droits étrangers (ceux qui leur ont vendu le livre qu’ils souhaitent faire traduire) ou des confrères traducteurs ont indiqué mon nom. Bref, les choses se passent surtout par bouche à oreille.
Est-il important de travailler en équipe avec l'auteur ?
Je pense que c’est important, mais l’occasion ne s’en présente pas toujours. Certains auteurs ne le souhaitent pas. Une fois publié, ils estiment que, dans un sens, le roman ne leur appartient plus, ou ils considèrent que leur métier n’est pas la traduction et que c’est au traducteur de se débrouiller avec ses propres problématiques. D’autres auteurs semblent beaucoup apprécier l’échange sur le texte. Certains parlent et lisent le français et, si les délais de remise le permettent, je leur propose de relire la traduction.
Il faut garder en tête qu’une traduction est une lecture, deux traducteurs n’auront pas forcément la même (on pourrait sans doute affirmer que deux traducteurs auront forcément des lectures différentes), il serait vain de penser que le traducteur peut entrer dans la tête de l’auteur, même en travaillant en équipe.
Cela dit, on a très souvent des questions à poser à l’auteur. J’ai traduit un roman dans lequel l’auteur fait très souvent des jeux de mots et, à force, je finissais par être un peu paranoïaque et par en voir partout. Dans ces cas-là, il était très rassurant de savoir que je pouvais lui écrire pour lui demander si je divaguais ou s’il y avait bel et bien un jeu de mots. Parfois aussi, malgré des recherches extensives sur Internet, je ne trouve pas ce que je cherche sur tel ou tel sujet et j’ai besoin de demander des précisions, car la condition nécessaire d’une traduction est de bien comprendre ce qu’on traduit.
Ne traduisez-vous que le norvégien ?
Oui, j’ai été élevée dans les deux cultures (norvégienne et française) et si j’ai vécu quelques années en Allemagne et plus longtemps encore en Angleterre, je n’ai pas le sentiment d’avoir la même connaissance intime du pays et de la langue.
Faut-il aimer le livre qu'on traduit ?
Oui. Je pense que c’est indispensable et qu’un traducteur qui n’aime pas le livre qu’il traduit risque de faire une mauvaise traduction. C’est ma règle numéro un quand je traduis un livre : devenir amie avec le texte.
Maintenant, j’ai eu beaucoup de chance jusqu’à présent et on ne m’a proposé que des romans qui m’ont plu. Il a pu toutefois m’arriver de ne pas sentir de connexion immédiate avec le livre, de me trouver hors de ma « zone de confort ». J’estime alors qu’il est de mon devoir d’apprendre à l’aimer. Je ne voudrais pas faire de grandes déclarations définitives, mais je pense pouvoir dire sans trop me tromper que derrière tout livre, il y a un rêve, une vision, un besoin impérieux de dire quelque chose, une curiosité, ou tout cela à la fois, ainsi que beaucoup de travail. Un traducteur ne peut pas ruiner tout cela par son absence de goût pour le texte. Quand on n’accroche pas d’emblée, je pense qu’il faut lire et relire. Se pencher sur les autres romans de l’auteur s’il y en a, parce qu’ils peuvent apporter un autre éclairage, faire comprendre que le livre qu’on doit traduire s’inscrit dans un projet. Un traducteur est avant tout un lecteur, un lecteur privilégié, qui peut passer beaucoup de temps sur un texte. Nous ne détenons pas de super pouvoirs que les autres lecteurs n’ont pas, mais je pense que nous savons que se familiariser avec un livre prend du temps et qu’il faut accepter que le parcours puisse être chaotique.
Donc oui, il faut à tout prix aimer le livre qu’on traduit, même si cela demande parfois un peu de travail. Mais une fois encore, j’ai beaucoup aimé la plupart des livres que j’ai traduit.
Est-ce qu'il vous est arrivé d'avoir des difficultés à traduire ? Quel genre de difficultés ?
J’en ai tous les jours et c’est ce qui pimente mes journées de travail.
La première difficulté, c’est de ne pas comprendre une phrase ou un passage, parce qu’on ne connaît pas le sujet ou qu’on ne relève pas une référence. Dans ces cas-là, une bonne séance de surf sur Internet peut faire des miracles, mais parfois il faut se tourner vers l’auteur.
Il peut aussi s’agir de jeux de mots qui tombent complètement à plat quand ils sont traduits, de mots qui n’existent pas en français, de méditations sur la langue norvégienne qui sont un vrai casse-tête à traduire (parfois je les traduis, en laissant des mots norvégiens dans le texte, parfois je suis obligée de faire des notes), de notions et de concepts qui ne correspondent à rien de familier pour un lectorat français.
La difficulté peut aussi être un défaut d’inspiration et de concentration, qui me fait tomber dans le piège des répétitions, des allitérations malheureuses, des lourdeurs innommables, du galimatias, du vocabulaire pauvre, et la liste continue. En bref, tout ce que vous avez pu lire en rouge en marge de vos copies de français peut se dire de mes traductions.
Mais le grand plaisir des difficultés, c’est qu’on arrive souvent à les résoudre. Les relectures multiples permettent de trouver des solutions même dans les situations que l’on jugeait désespérées. Et, bonus, j’ai pu constater que plus je retravaillais mes traductions, plus je me rapprochais du texte original.
Soulignons aussi que le traducteur n’est pas seul. Mon compagnon joue souvent les premiers lecteurs et me signale les passages pas tout à fait au point ou les mots sonnant bizarres (traduits). Ensuite les éditeurs et assistants d’éditions apportent leurs commentaires. Et les précieux alliés des traducteurs que sont les correcteurs (et il en est de franchement remarquables) nous sortent parfois des pires impasses.
Est-ce que vous avez déjà refusé de traduire un livre ou, au contraire, de proposer un livre norvégien que vous aviez apprécié à des éditeurs français ?
Je n’ai jamais refusé de traduction, mais il m’est arrivé de ne pas pouvoir convenir avec l’éditeur de délais ou de tarifs satisfaisants pour les deux parties. Je propose régulièrement des livres norvégiens aux éditeurs que je connais. Dans ces cas-là, je ne traduis pas le roman, mais j’envoie une fiche de lecture, dans laquelle je le résume et j’explique de façon très subjective ce qui m’a plu. Je ne connais pas le « marché du livre » et je serais bien incapable de prédire quel titre peut marcher en France, mais les éditeurs savent lire les fiches de lecture et y repérer ce qu’ils recherchent pour leurs collections.
Tusen takk Rodolphe et Poulet pour ces excellentes questions !